Intervention de Daniel Lévyne pour l’UJFP à la table ronde « Pourquoi nous luttons contre l’islamophobie », à Saint Brieuc le 10 octobre.
L’Union Juive Française pour la Paix avec nos amis du collectif juif Tsedek est la composante juive à la fois du mouvement de solidarité avec la Palestine et aussi du mouvement de l’antiracisme politique et décolonial. Ces 2 mouvements ne vont pas l’un sans l’autre. Car nos luttons contre le sionisme politique qui est aussi un racisme comme suprémacisme juif.
De quoi l’islamophobie est le nom ?
Avant de commencer il faudrait définir les termes.
Il n’y a pas de races. Mais le racisme existe. Nous distinguons l’antiracisme moral qui consiste à dire « les propos et les actes racistes c’est pas bien » de l’antiracisme politique qui lutte contre le racisme structurel et systémique dans notre société.
Il y a différents racismes. Mais aujourd’hui nous allons en examiner un particulier : l’islamophobie.
On entend de suite les détracteurs : « mais l’islam est une religion et la critique d’une religion est admise dans notre société ». C’est faire fi de la définition de l’islamophobie relevée sur un site de l’ONU :
« L’islamophobie se définit par la peur, les préjugés et la haine envers les musulmans. Ces phénomènes peuvent conduire à la provocation, à l’hostilité et à l’intolérance, qui se manifestent par le biais de menaces, de harcèlement, d’abus et d’intimidation envers des musulmans et des non-musulmans, à la fois dans le monde en ligne et hors ligne. Motivée par une hostilité institutionnelle, idéologique, politique et religieuse qui peut se transformer en racisme structurel et culturel, l’islamophobie cible les symboles et les pratiquants de la religion musulmane. ».
Cette islamophobie structurelle se manifeste pratiquement quotidiennement sur la scène médiatique et politique et particulièrement sur les médias mainstream détenus par les milliardaires illibéraux : des diatribes incessantes contre le voile, le « communautarisme » les imans « intégristes ». Les fermetures de mosquées, d’écoles musulmanes se multiplient. Les musulmans étant accusés à la fois de « séparatisme » (ils considèreraient la « charia » supérieure à la loi de la République) et d’ »entrisme » avec la nébuleuse des « frères musulmans ». Et pire de participer à un « grand remplacement » des populations européennes par ces sauvages d’arabo-musulmans. Ces accusations étant portés par des pseudo journalistes et politiciens qui ne connaissent rien de la religion musulmane et de son histoire. Avec une absence pratiquement totale de ces musulmans stigmatisés dans ces médias.
Un acte particulièrement scandaleux a été la dissolution du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) qui défendait les musulmans agressés dans leur vie quotidienne. Et récemment les représentants en France du CCIE (Collectif Contre l’Islamophobie en Europe) ont été inquiétés par des gardes à vue et des perquisitions.
De façon générale, le combat pour la laïcité et aussi contre le « terrorisme » est dévoyé pour stigmatiser les musulmans dans leur globalité. On fait semblant de chercher désespérément des musulmans « modérés » qui se lèveraient en masse pour condamner les « islamistes »., sans bien sûr définir concrètement qui sont ces fameux islamistes et par qui ce courant serait représenté.
Antisémitisme et Islamophobie.
Revenons d’abord sur ce terme antisémitisme. Comme l’islamophobie désigne l’hostilité envers les musulmans, l’antisémitisme désigne l’hostilité envers les juifs. Attention ce terme a été inventé par un théoricien raciste du XIXème siècle, la « race » sémite n’existant pas, seules existent des langues sémites ( l’arabe, l’araméen, l’hébreu, le syriaque…)
« Hier les Juifs, aujourd’hui les musulmans » : c’est le slogan que nous scandions lors de la manifestation parisienne de 2019 contre l’islamophobie. Parce que, en effet, même si l’histoire de se répète pas, elle balbutie.
Dans les années 30 les juifs étaient aussi accusés comme « peuple élu » de vouloir dominer le monde (cf le Protocole des sages de Sion), en même temps par les révolutionnaires « judéo-bolchévique » et par la « finance juive » des Rothschild et consort. Nous en avons un écho actuel avec les « talmudo-sionistes » de Soral et les complotistes dénonçant les soit-disantes manigances de Soros .
Ce que nous constatons aussi c’est l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme dirigée contre l’immigration arabo-musulmane. Car cette population est aussi accusée d’antisémitisme, « dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de sa mère » ( Georges Bensoussan) . Un « journaliste » israélien avait aussi expliqué qu’il avait été abreuvé d’injures en se promenant dans les « quartiers » coiffé d’une kippa. Un journaliste, un vrai, de France 2 a eu l’idée de faire la même chose . Il n’a jamais été inquiété d’après lui…
Rappelons aussi la remarque du président du CRIF quand Le Pen père était arrivé au second tour de la présidentielle en 2002 : comme cela, les musulmans se tiendront tranquille.
On nous explique ainsi que mais non , le RN n’a plus rien d’antisémite, alors que l’on a encore dans ses rangs des antisémites authentiques. Et que le « nouvel antisémitisme » viendrait juste des quartiers populaires.. donc des musulmans ! Le RN aussi ne veut pas du voile dans l’espace public mais pour ne pas être accusé de stigmatiser que les musulmans , demande aussi aux juifs de ne pas porter la kippa …mais ne demande pas aux bonnes sœurs aussi de retirer leur voile !
Les organisations politiques luttant contre l’islamophobie comme LFI se font accuser d’antisémitisme à cause de leurs visés électoralistes sur ces quartiers populaires « musulmans » forcément antisémite…La preuve que LFI est antisémite !
Une anecdote : ma sœur vit à Nanterre. C’est une juive très religieuse et quand je viens la voir le chabat, elle ne peut m’ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble à cause des interdits religieux : pas possible d’appuyer sur un interrupteur électrique. Pas de souci, ses voisins musulmans connaissant cette particularité se sont proposés de m’ouvrir la porte.
Un peu d’histoire maintenant :
- Lors des croisades, sur le chemin de Jérusalem il y a eu des massacres de Juifs accusés d’avoir tué Jésus.
- Lors de l’expulsion d’Espagne en 1492 par les Rois « très catholiques » les juifs se sont réfugiés en grande majorité dans le monde musulman, au Maghreb ou dans l’empire ottoman. Et ils ont été bien accueilli.
La judéophobie, c’est l’histoire de l’Occident, de l’Europe, de l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme racial débouchant sur le judéocide nazi. Pas du monde musulman. Juifs et musulmans s’invitaient lors de leurs fêtes religieuses. Je ne dis pas que tout était parfait, il y eu aussi des périodes difficiles, mais rien à voir avec ce qui s’est passé en Europe.
Après, il y eu le colonialisme français en Afrique du nord, avec en particulier le décret Crémieux donnant aux juifs algériens la nationalité française suivant le vieux principe colonial « diviser pour régner », puis la création de l’État d’Israël. La propagande sioniste explique que les juifs des pays musulmans y ont été chassés. C’est un mensonge. Par exemple au Maroc, dans les villages, les habitants ont longtemps conservés telles quelles les maisons habitées par des juifs, attendant qu’ils y reviennent. Beaucoup en Israël ont regretté leur départ. En Irak, ce sont les sionistes qui ont fait exploser des bombes dans les synagogues. Il fallait du monde pour peupler le nouvel État colonial.
La lutte antiraciste commune
Notre conception, à ce sujet, est que nous ne pouvons pas lutter séparément contre les différentes formes de racisme. Nous ne sommes pas dans la « concurrence victimaire » (le plus « grand » génocide, c’est moi qui l’ai subi c’est pas toi) absurde, qui nous diviserait. Il n’y a pas à en privilégier un plutôt qu’un autre. L’efficacité doit venir de l’auto-organisation des « racisés », les premiers concernés, parce chaque forme de racisme a ses spécificités et aussi de la coordination de la convergence des luttes. Il y a quelques années, nous avions initié cette convergence avec La Voix des Rom, la Brigade Anti-Négrophobie et le Collectif contre l’Islamophobie en France. La dissolution de ce dernier a mis cette alliance en sommeil. Mais nous serons partie prenante pour une nouvelle coordination de ce type.
Et l’UJFP dans la lutte antiraciste ?
Nous avons publié « Paroles juives contre le racisme ».
Nous somme partie prenante des collectifs de solidarité avec les sans-papiers avec la Marche des solidarités.
Le sionisme politique étant un mouvement et une idéologie visant à créer et à développer un État dit juif sur la Palestine historique, il est alors un colonialisme de remplacement visant à chasser ses habitants autochtones. L’État israélien se définissant comme l’État-nation du peuple juif, il contribue à exacerber l’antisémitisme par l’amalgame mortifère qu’il fait entre Juifs, sionistes et Israéliens.
Comme association juive antisioniste, nous sommes solidaires de la lutte pour les droits du peuple palestinien, la politique israélienne inspirée par cette idéologie sioniste est criminelle envers le peuple palestinien mais aussi suicidaire pour les juifs d’Israël et d’ailleurs.
En initiant des collectes pour les paysans de Gaza (château d’eau, irrigation et pépinières détruits suite aux bombardements israéliens) et maintenant pour des distributions de nourritures, de tentes, pour des ateliers d’aide psychologique pour les femmes et les enfants nous pensons aussi lutter contre le racisme antisémite. Non bien sûr que non, tous les Juifs ne sont pas les complices des génocidaires. Nous ne sommes pas seuls, par exemple aux États-Unis nos amis de Jewish Voice for Peace mobilisent une bonne partie de la jeunesse juive états-unienne.
Philosémitisme et islamophobie d’Etat
« Que serait la France sans ses Juifs » déclare un ministre, toute la classe politique se précipite au diner du CRIF, tout en produisant loi islamophobe sur loi islamophobe. On l’a vu, on joue ainsi les Juifs contre les Musulmans.
On se gargarise des « racines judéo-chrétiennes » de l’Europe, faisant table rase sur des siècles de persécutions antisémites.
Mais ce philosémitisme a des limites. En juin 2024, le directeur de publication en ma personne a été convoqué pour instruire une plainte pour « apologie du terrorisme » concernant des communiqués que l’UJFP a produits suite au 7 octobre 2023. Bien sûr nous n’y faisions que rappeler le contexte colonial de cette attaque et le droit international. Comme des dizaines voir des milliers d’autres militants. Mais ce n’était pas tout. J’ai été perquisitionné le mois dernier en mon absence, les policiers emportant entre autre quelques documents et livres dont celui de mon père Emmanuel Lévyne « Judaïsme contre sionisme ». Je leur en souhaite bonne lecture…
En fait comme pour les musulmans où pour les médias, les seuls visibles sont des personnages aux ordres du pouvoir, celui-ci trie « ses » juifs : il y a les « bons » qui nient ou qui soutiennent le génocide, qui préfèrent voter RN et les « mauvais » comme nous qui avons comme boussole le droit international.
Même si je ne suis ni croyant ni pratiquant, comme beaucoup à l’UJFP je fais mienne ces valeurs que l’on trouve dans un texte religieux les pirké avoth (l’éthique de nos pères en hébreu) «Le monde existe sur trois bases : sur la Justice, sur la Vérité, et sur la Paix »



