Depuis l’annonce du cessez-le-feu, une atmosphère contradictoire règne dans la bande de Gaza, entre une joie soudaine et une douleur persistante, entre les youyous des femmes exprimant leur bonheur et le sang qui continue de couler sur le terrain, comme si cette terre n’avait pas encore connu le véritable sens de l’arrêt de la guerre. Dans les camps qui s’étendent le long d’Al-Mawasi à Khan Younès, et au cœur de tentes qui peinent à protéger du froid de la nuit et de la chaleur du jour, les femmes ont laissé éclater leurs youyous, exprimant une joie différée restée enfermée dans les gorges après deux années de guerre acharnée, tandis que les voix des hommes s’élevaient en slogans, portant une note d’espoir d’un retour prochain vers leurs maisons détruites et leurs quartiers ravagés. La scène ressemblait à un volcan d’émotions : des mères serrant leurs enfants en pleurant de joie et de peur à la fois, et des hommes s’embrassant comme s’ils étaient aux portes d’une nouvelle naissance.
Mais la réalité s’est vite révélée plus complexe. Ceux qui s’étaient préparés à retourner dans leurs zones de la ville de Gaza et de l’est de Khan Younès ont été stoppés par les zones interdites, au niveau de Wadi Gaza, où des centaines de familles attendent le retrait de l’armée israélienne pour être les premiers à revenir dans leur ville. Depuis deux jours, ils y campent, accrochés aux souvenirs de leurs maisons et de leurs terres agricoles, dormant au bord de la route et guettant le moment où les restrictions de l’occupation prendraient réellement fin — en vain.
De l’autre côté, à l’est de Khan Younès, la même scène s’est répétée : des centaines de familles, n’ayant plus la force de contenir leur nostalgie, ont décidé de quitter Al-Mawasi Khan Younès pour retourner à Bani Suheila. Mais elles ont trouvé les chars sur leur chemin, qui ont ouvert le feu et les ont bombardées de balles et d’obus. Des morts et des blessés sont tombés, et le voyage de l’espoir s’est transformé en une nouvelle tragédie. Ces scènes se sont répétées au nord et à l’est de la ville de Gaza, confirmant que le cessez-le-feu reste encore lettre morte, et que la mort continue de guetter les habitants même dans leur moment tant désiré de retour.
Malgré ces conditions éprouvantes, la crise humanitaire n’a pas cessé d’écraser la vie des gens. La guerre, qui a épuisé les hommes et les pierres, laisse toujours ses marques dans chaque détail de la vie quotidienne. Le cessez-le-feu, censé ouvrir une porte de soulagement, n’a toujours pas été appliqué sur le terrain.
Au cœur de cette tragédie, les équipes de l’UJFP poursuivent leur travail dans Al-Mawasi Khan Younès, où s’entassent des milliers de familles déplacées qui ont tout perdu : maisons, fermes, et même la capacité d’assurer un repas quotidien à leurs enfants. Là, les repas chauds que les équipes préparent et distribuent deviennent une véritable bouée de survie. Chaque matin, des enfants se tiennent depuis l’aube dans de longues files devant les points de distribution, les yeux emplis d’attente, posant aux membres des équipes la même question simple et douloureuse à la fois : « Qu’allez-vous cuisiner pour nous aujourd’hui ? » Une question qui révèle l’ampleur de la perte vécue par ces petits, eux qui n’ont plus de cuisine chez eux, plus de feu qui brûle, plus de table familiale qui les réunit — seulement ce que leur apportent les efforts humanitaires visant à les maintenir en vie.
Le travail des équipes de l’UJFP dépasse la simple distribution de nourriture. Il porte un message symbolique profond : qu’il existe encore des gens aux côtés de cette population, que certains se souviennent d’eux au milieu de ces ruines, et que d’autres s’efforcent d’insuffler un sentiment de dignité même dans les pires circonstances. Au moment de recevoir les repas chauds, les habitants ne reçoivent pas seulement de la nourriture, mais aussi une marque de solidarité, une chaleur humaine qui atténue un peu la glace de l’isolement et de la faim. Les enfants sourient en voyant les grandes marmites fumantes, et les femmes respirent enfin, soulagées de savoir que leurs enfants ne dormiront pas affamés cette nuit-là.
À Deir al-Balah, et plus précisément dans le camp du Croissant, devenu refuge temporaire pour des centaines de familles qui se sont installées à même le sol, les équipes de l’UJFP poursuivent leurs activités avec un effort redoublé. Là, parmi les tentes serrées les unes contre les autres, les équipes ont commencé à cuisiner sur de simples foyers de fortune, et l’odeur des repas s’est transformée en un message de vie se faufilant à travers les ruelles étroites du camp. Lorsque les repas sont distribués, des mains tremblantes de besoin s’étendent, et un sourire apparaît sur des visages fatigués, marqués par une longue privation des besoins les plus élémentaires. L’importance de ce travail ne réside pas seulement dans le repas lui-même, mais dans le sentiment des familles qu’il existe quelqu’un qui se solidarise avec elles, qui voit leur souffrance, qui refuse de les abandonner seules face à la faim, au froid et à la peur.
La crise continue, et les portes de la souffrance ne se sont pas encore refermées. Mais ces initiatives humanitaires offrent aux déplacés la capacité de tenir bon, jour après jour, heure après heure. Dans la privation sévère imposée par la guerre, les repas chauds de l’UJFP sont devenus la base sur laquelle comptent des milliers de déplacés. On ne peut décrire l’instant où les enfants attendent l’arrivée des équipes, les yeux avides et les bouches affamées. On ne peut non plus mesurer l’ampleur de la gratitude qui déborde du cœur des mères voyant dans chaque repas un gilet de sauvetage protégeant leurs enfants de l’ombre de la faim.
Dans ce contexte, la scène semble être une fresque contradictoire entre désespoir et espoir : les youyous et les cris de joie lors de l’annonce du cessez-le-feu, le bruit des bombardements et des tirs qui n’a pas cessé, des enfants attendant un repas chaud comme s’il s’agissait du cadeau d’une vie, et des mères qui poursuivent leur résistance par la patience et la prière. Et au milieu de toutes ces scènes, les équipes de l’UJFP se tiennent là pour affirmer, par les actes avant les mots, que l’humanité est encore vivante, et que la résilience n’est pas qu’un simple slogan, mais une pratique quotidienne traduite dans chaque repas préparé et distribué, et dans chaque sourire d’enfant sauvé des griffes de la faim et de la peur.
Photos et vidéos des repas au camp des agriculteurs ICI et des repas au camp d’Al Hilal ICI
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)



