Union juive française pour la paix

Témoignage d’Abu Amir, le 8 octobre 2025 – Où en est le Hamas à Gaza ?

Destruction de Gaza octobre 25 330763 2 Témoignage d'Abu Amir, le 8 octobre 2025 - Où en est le Hamas à Gaza ?

Depuis le déclenchement de la guerre d’octobre 2023, le paysage de la bande de Gaza a changé de manière sans précédent. Les infrastructures sont détruites, les institutions civiles paralysées et l’économie s’effondre sous le blocus et les ravages. Dans ces conditions, le Hamas fait face à une situation extrêmement difficile. Autrefois incontestablement l’autorité dominante, le mouvement se retrouve aujourd’hui assiégé de l’extérieur par des pressions internationales et arabes, et de l’intérieur par des protestations populaires et une crise de subsistance étouffante. S’y ajoutent de nouveaux défis liés au désordre “des grandes familles” qui sont la structuration traditionnelle de la société à Gaza et à l’émergence de milices armées qui menacent son monopole sur les armes et le contrôle.

Cela signifie que l’environnement dans lequel le Hamas gouvernait depuis 2007 n’existe plus. Il n’est plus le seul décideur à Gaza, mais doit désormais affronter de nouveaux acteurs et des pressions inédites, ce qui l’oblige à faire face à des choix difficiles auxquels il n’avait jamais été confronté par le passé.

Les pressions internationales

La communauté internationale a clarifié sa position : il n’y a pas de place pour le Hamas dans les arrangements de « l’après-guerre ». Les grandes puissances discutent de plans visant à instaurer une administration civile temporaire, sous supervision extérieure, et peut-être avec la participation d’acteurs arabes et palestiniens indépendants. L’objectif déclaré est la reconstruction, le rétablissement de la sécurité et la prévention du retour du Hamas au pouvoir.

Cette vision a placé le mouvement dans une impasse : soit il accepte son exclusion, soit il poursuit la confrontation, au risque d’un isolement croissant et d’un effritement de son avenir. Le message international est clair : il n’y aura pas de retour à l’ancienne équation. Aux yeux des grandes puissances, le Hamas a démontré son incapacité à assurer la sécurité ou à proposer des solutions politiques. L’avenir de Gaza se dessine donc sans lui, le plaçant dans une posture défensive inédite.

Les pressions arabes

Les pays arabes, en particulier l’Égypte et le Qatar, s’activent également pour faire avancer de nouvelles dispositions. Cette fois, il ne s’agit plus seulement de médiations pour un cessez-le-feu, mais d’une phase entière où Gaza serait gérée sans l’autorité du Hamas.

L’Égypte se concentre sur la sécurité de ses frontières et craint une détérioration incontrôlée de la situation. Le Qatar, de son côté, conditionne la reconstruction à une surveillance stricte. D’autres pays arabes refusent de voir le Hamas se maintenir au pouvoir, estimant que cela constitue une menace pour la stabilité régionale.

Ce tournant arabe est lourd de conséquences pour le mouvement, qui s’était longtemps appuyé sur ces pays comme filet de sécurité politique et financier. Aujourd’hui, même ses alliés les plus proches font pression pour mettre fin à son influence, réduisant encore davantage sa marge de manœuvre.

Les pressions internes

À l’intérieur de la bande de gaza, la colère de la population ne cesse de croître. Les habitants souffrent de la pénurie de nourriture, d’eau, d’électricité, du non-paiement des salaires et de l’effondrement des services de base. Dans ce contexte, les slogans de la résistance ne suffisent plus à calmer la colère. Des manifestations ont éclaté dans certaines zones, scandant des slogans directs contre le mouvement, appelant à son départ. Bien que le Hamas conserve encore ses appareils sécuritaires et ses armes, son emprise n’est plus la même. Le mécontentement est devenu public, et même si les protestations restent limitées en nombre, elles témoignent de l’érosion de son autorité en tant que mouvement et gouvernement.

Cela révèle que l’équation « gouverner en échange de la résistance » n’est plus acceptable pour une grande partie des Gazaouis. Le peuple, qui vit sous les bombardements et la faim, aspire à une vie normale. Si le Hamas ne parvient pas à la garantir, il perdra davantage de soutien populaire, même s’il demeure militairement puissant.

Le chaos et les affrontements familiaux

L’un des signes les plus flagrants du désordre à Gaza est l’éclatement de confrontations armées entre des membres du mouvement et certaines “grandes familles”. L’incident le plus grave a eu lieu à Khan Younès, où un affrontement sanglant a éclaté entre des membres de la famille al-Majaida et des éléments du Hamas. Des armes lourdes y ont été utilisées, et des dizaines de morts sont à déplorer, dont 22 combattants du Hamas ainsi que plusieurs civils issus de la famille.

Cet événement a provoqué un choc : pour la première fois depuis des années, une famille ose défier le Hamas par les armes violemment. Cela montre que l’autorité du mouvement n’est plus absolue, et que la colère sociale a atteint un niveau critique.

Il ne s’agit pas d’un simple affrontement local, mais d’un signal fort : si ce type de confrontation se reproduit, le Hamas pourrait se retrouver face à un chaos généralisé difficile à contenir.

Les nouvelles milices armées

Dans ce vide sécuritaire, de nouvelles milices locales armées ont vu le jour. Certaines dépendent de familles influentes, d’autres se sont constituées pour protéger des zones ou des convois d’aide. Ces groupes bénéficient d’un soutien israélien direct ou indirect, par l’armement ou par une forme de tolérance, afin de fragiliser le Hamas.

Ces milices commencent à s’imposer sur le terrain : elles contrôlent la distribution de l’aide, imposent des taxes et créent une économie parallèle fondée sur la force. Ce développement est dangereux, car il ouvre la voie à un scénario de« seigneurs de guerre », où le pouvoir serait fragmenté entre groupes armés plutôt que concentré entre les mains d’une seule autorité.

La présence de ces milices signifie que le Hamas n’a plus le monopole des armes à Gaza. C’est là le plus grand péril pour toute autorité, car la perte du contrôle des armes annonce l’effondrement du pouvoir sécuritaire.

Le dilemme du pouvoir et de la résistance

Le Hamas se trouve aujourd’hui face à une impasse. À l’origine mouvement de résistance armée, il est en même temps une autorité dirigeante depuis des années. La combinaison de ces deux rôles est désormais quasi impossible : comment gérer la vie de deux millions de personnes sous blocus et effondrement des services, tout en subissant une pression militaire et un encerclement politique ?

Au sein même du mouvement, des débats pourraient s’intensifier sur l’avenir du pouvoir : faut-il s’accrocher au gouvernement jusqu’au bout, ou accepter un rôle secondaire dans la prochaine phase ? Dans les deux cas, les pertes sont lourdes : rester au pouvoir accroît la colère populaire et affaiblit sa légitimité, mais abandonner le gouvernement équivaudrait à une défaite politique.

Ainsi, quel que soit son choix, le mouvement perdra une partie de son statut : rester, c’est s’exposer au rejet populaire ; partir, c’est apparaître comme vaincu. Jamais sa situation n’a été aussi difficile.

La position israélienne

Israël poursuit sa campagne militaire et politique visant à affaiblir le mouvement, mais se heurte elle aussi à un dilemme. Plus l’autorité centrale du Hamas s’affaiblit, plus de nouvelles forces locales anarchiques émergent : familles armées, milices incontrôlées. Cela représente un défi à long terme pour Israël, qui risque de se retrouver face à un environnement instable et difficile à maîtriser.

En d’autres termes, Israël peut engranger un gain tactique en affaiblissant le Hamas, mais elle ouvre la porte à un chaos qui rendra la bande de Gaza encore plus ingouvernable.

La société gazaouie entre faim et désordre

La réalité actuelle de Gaza peut se résumer en quatre cercles entremêlés :

  • Le cercle de la faim, où les habitants se battent pour se nourrir.
  • Le cercle du chaos sécuritaire, entre l’autorité du mouvement, les “grandes familles” et les milices.
  • Le cercle de la légitimité, où le discours de la résistance s’oppose aux cris des habitants : « Nous voulons vivre avant tout ».
  • Le cercle de la vengeance et de la justice, où s’accumulent les meurtres et les crimes sans tribunaux ni institutions.

Ces cercles montrent que Gaza n’est pas seulement un champ de bataille entre Israël et le Hamas, mais aussi une arène de luttes internes pour la survie et la légitimité, aggravant encore la tragédie.

Le scénario du lendemain

Les plans annoncés confirment que le Hamas n’aura aucun rôle dans la phase à venir. L’objectif est que Gaza soit administrée par une structure civile sous supervision extérieure, avec une force de sécurité arabe ou internationale, et que le mouvement soit écarté du pouvoir.

Pour le Hamas, cela signifie la perte de son statut d’autorité dirigeante, et peut-être son repli vers un rôle de simple faction armée agissant dans l’ombre.

Si ce scénario se concrétise, il marquera le plus grand tournant de l’histoire du Hamas depuis sa création : d’acteur principal à Gaza, il deviendrait un acteur marginal et limité.

La situation actuelle révèle que le Hamas n’est plus ce qu’il était. Les pressions internationales et arabes l’encerclent de toutes parts, la population de Gaza se plaint et manifeste, les “grandes familles” osent le défier par les armes, et de nouvelles milices imposent une réalité dangereuse sur le terrain. Tout cela confirme que l’ère du Hamas en tant que souverain absolu de Gaza touche à sa fin.

L’avenir pourrait s’ouvrir sur davantage de chaos, ou sur de nouvelles dispositions pilotées de l’extérieur. Mais une chose est sûre : ce sont les Gazaouis, pris entre la guerre, la faim et le désordre, qui font face à l’épreuve la plus dure : survivre sans autorité unifiée ni claire pour les conduire vers un avenir meilleur.

Ainsi, la crise n’est pas seulement celle du Hamas, mais celle d’une société entière privée de stabilité et de justice, piégée entre blocus, désordre et perte d’espoir.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

    Tous les dossiers