Les semaines se succèdent, mais nous ne vous oublions pas, bien au contraire.
Vendredi 19 septembre, une vingtaine de personnalités publiaient, sur le site du FigaroVox, une tribune adressée à Emmanuel Macron, au cœur de laquelle, après avoir expliqué qu’elles appelaient « de toutes [leurs] forces à la paix au Proche-Orient », c’est courageux, ces intraitables pacifistes affirmaient que les conditions de la reconnaissance, par la France, de l’État de Palestine, feraient de cette décision « une victoire symbolique pour le Hamas » et « une capitulation morale face au terrorisme », rien que ça. Hasard du calendrier, ladite tribune, mise en ligne trois jours avant le discours du président français devant l’assemblée générale des Nations unies, a été rendue publique trois jours après qu’une commission d’enquête de l’ONU eut confirmé, dans un rapport fort détaillé et argumenté, que l’État d’Israël commettait un génocide à Gaza, sa présidente affirmant sans ambiguïté « [qu’]il est clair qu’il existe une intention de détruire les Palestiniens de Gaza par des actes qui répondent aux critères énoncés dans la Convention sur le génocide », point.
Parmi les signataires, outre le philosophe pour chaînes d’info Raphaël Enthoven, le vrai-faux pacifiste Joann Sfar et l’inénarrable Bernard-Henri Lévy, toujours dans les bons coups, on retrouvait, entre autres, Arthur (« Pendant que vous comptez les calories à Gaza, les bourreaux du Hamas humilient, filment, jubilent »), Alain Minc (« La honte ce n’est pas que [Netanyahou] bombarde Gaza, c’est qu’il a amené Israël dans une impasse ») ou Yvan Attal (« [Les Palestiniens] veulent absolument un génocide parce qu’ils pensent que le monde nous a donné Israël après la Shoah, donc après un vrai génocide »), un bien beau casting (1). Autre nom remarqué, celui de Charlotte Gainsbourg, ce qui a valu à l’actrice, qui va interpréter l’avocate Gisèle Halimi à l’écran, un percutant courrier du fils de cette dernière rappelant que sa mère fit preuve d’une « solidarité constante avec Gaza », effectivement. Un rôle pas vraiment taillé sur mesure donc, comme si Jordan Bardella endossait les habits de Jean Moulin ou comme si l’on embauchait, pour un biopic de Martin Luther King, le suprémaciste Charlie Kirk — hypothèse qui semble toutefois, selon de récentes informations, peu probable.
Chers complices du génocide, soyez rassurés : nous n’entendons pas faire preuve dans cette missive d’un quelconque acharnement contre les signataires de la tribune du 19 septembre, ce qui serait, déjà, un peu facile, et, surtout, particulièrement injuste dans la mesure où ils sont loin d’être les seuls à avoir, depuis près de deux ans maintenant, pris fait et cause pour la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza, et ce alors même que l’ampleur du massacre était, et continue d’être puisqu’il est toujours en cours, chaque jour un peu plus documentée. En relisant nos précédents textes et alors que nous nous interrogions sur la pertinence de rédiger un « numéro spécial » à l’occasion de la cinquantième livraison du Boxing Day, nous avons ainsi été rapidement convaincu qu’il serait singulièrement inconvenant à votre égard de laisser imaginer que vous ne mériteriez pas tous de compter parmi les destinataires d’un courrier à l’attention de ceux qui, en France, peuvent être qualifiés de complices directs ou indirects du génocide commis à Gaza.
Le moins que l’on puisse dire est en effet que, parmi les personnalités à qui nous avons adressé, depuis un an, nos courriers hebdomadaires, vous êtes nombreux à vous être distingués par votre abnégation à faire preuve d’une absence totale d’empathie pour la population de Gaza, quitte à refuser de vous confronter au réel, à multiplier les outrances et à propager des fake news. Et si nous n’entendons pas faire une synthèse exhaustive de l’ensemble de vos déclarations, prises de position et « analyses », il nous a semblé utile de rédiger, une fois n’est pas coutume, un courrier collectif permettant à nos lecteurs et lectrices de (re)découvrir l’étendue de votre complicité avec le génocide perpétré à Gaza, qu’elle se soit manifestée par un négationnisme plus ou moins assumé, un soutien plus ou moins affiché ou des attaques plus ou moins répétées contre celles et ceux qui ont refusé, et refusent toujours, de laisser faire.
Dans la catégorie négationnisme, difficile de ne pas commencer par citer les mots de Raphaël Enthoven sur BFM-TV le 4 octobre 2024, visiblement tellement à l’aise avec ses certitudes qu’il fut obligé de les répéter cinq fois en quelques dizaines de secondes : « Il n’y a pas de génocide en Palestine. Il n’y a jamais eu de génocide palestinien. […] [On parle] de bombardements ciblés qui font des victimes collatérales sur des zones où les terroristes se cachent derrière des boucliers humains. […] Ce n’est pas un génocide. Ça ne s’appelle pas un génocide. Les mots ont un sens. Il n’y a pas de génocide à Gaza ». Une argumentation, chacun pourra le constater, particulièrement riche, à l’instar de celle de la serial menteuse Caroline Fourest, collègue de Raphaël Enthoven à l’hebdomadaire Franc-Tireur, on y reviendra, qui déclarait quant à elle le 29 octobre 2023, également à l’antenne de BFM-TV, à propos du nombre de morts à Gaza, ce qui suit : « Il faut savoir qu’il faut diviser les chiffres [des autorités de Gaza], si ce n’est par 5, au moins par 10 [sic] », sans évidemment prendre la peine d’argumenter alors que les ONG et l’ONU affirmaient à l’époque que ces chiffres étaient fiables, et sans jamais être revenue sur cette déclaration péremptoire alors que les données des autorités gazaouies ont été, depuis, confirmées, entre autres, par les services de renseignements israéliens eux-mêmes.
Autre « argument » avancé par certains négationnistes du génocide se risquant, quant à eux, à s’improviser juristes : la prétendue absence de preuve d’une quelconque volonté, venue d’Israël, de s’en prendre collectivement à la population de Gaza, et donc l’impossibilité d’établir une intentionnalité, indispensable pour caractériser un génocide. Exemple parmi d’autres, le journaliste de Libération Jean Quatremer qui, dans un billet publié le 24 mars 2024, et donc à l’heure où plus de 30 000 personnes avaient déjà été tuées à Gaza et où Israël clamait haut et fort sa volonté de poursuivre le massacre, affirmait que « dans le cas d’Israël, la volonté d’éliminer les Gazaouis n’est absolument pas établie, en dépit des déclarations de quelques responsables politiques de l’extrême droite israélienne », tout va bien alors, oubliant de préciser que les « quelques responsables politiques » israéliens étaient alors, notamment :
– le Premier ministre : « Ils sont le peuple des ténèbres, et la lumière triomphe des ténèbres » ;
– le ministre de la Défense : « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence » ;
– le chef de l’État : « C’est une nation entière qui est responsable. Ce n’est pas vrai cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas conscients et ne sont pas impliqués, c’est absolument faux. […] Nous nous battrons jusqu’à ce que nous leur brisions la colonne vertébrale » ;
– le vice-président du Parlement : « Nous avons tous un objectif commun : effacer Gaza de la surface de la Terre ».
En d’autres termes : l’ensemble de l’establishment israélien qui avait, dès le début, clairement annoncé la — sombre — couleur, ce qui ne vous a pas empêchés, chers complices du génocide, de prétendre qu’il n’y avait nulle intention génocidaire et même, pour certains d’entre vous, d’estimer judicieux de vous muer en experts militaires pour défendre la théorie outrageusement fantaisiste selon laquelle l’armée israélienne serait « la plus morale du monde ». « J’ai rarement vu une armée à ce point soucieuse, dans une guerre atroce, d’éviter les victimes civiles », déclarait ainsi l’un de vos chefs de file, le philosophe en chemise Bernard-Henri Lévy, le 16 mars 2024 dans le Parisien, avant d’expliquer au Figaro, quelques mois plus tard, « qu’il y a peu de tirs israéliens qui ne soient littéralement mesurés dans le but et l’intention qu’il y ait le moins possible de victimes civiles », on n’ose imaginer à quoi ressembleraient des tirs israéliens qui ne seraient pas « mesurés ». Une science militaire également partagée par la députée likoudo-macroniste Caroline Yadan affirmant, le 21 mai 2024, « [qu’]Israël s’est assuré que le ratio entre les combattants du Hamas tués et les civils palestiniens tués pendant la guerre de Gaza soit historiquement bas », par l’expert en retournements de veste Manuel Valls, qui a jugé utile de saluer, en janvier 2024 dans l’Express, « les efforts considérables menés par Israël pour préserver les civils de cette guerre, malgré la peine que se donne le Hamas pour les tenir en bouclier », ainsi que par un certain Philippe Val, ex-chansonnier devenu mercenaire de Bolloré, qui s’est senti autorisé à affirmer, en décembre dernier, que « le Hamas […] entasse ses propres populations civiles entre lui et l’armée israélienne », no comment.
Vous comptez en outre parmi vous un certain nombre de partisans de l’armée israélienne qui, non contents de défendre l’ensemble des agissements de cette dernière, vont jusqu’à exprimer leur enthousiasme pour les atrocités qu’elle commet, à l’instar de Xavier Gorce, dessinateur de manchots qui disent des trucs et adepte des déclarations chargées en testostérone, postant sur son compte X, le 17 octobre 2024, ce qui suit : « Dans l’élimination ciblée et chirurgicale des têtes de gondoles des groupes terroristes, les forces israéliennes ont tout de même une expertise et un savoir-faire absolument époustouflant ! Franchement, chapeau ». Dans le même style, avec encore un peu plus de subtilité, nous n’avons pas davantage oublié les déclarations du très raffiné Louis Sarkozy, alias « Mon papa à moi est un gangster », le 26 septembre 2024 sur LCI, suite à des bombardements israéliens sur le Liban : « Qu’ils crèvent. Israël fait le travail de l’humanité ici, absolument aucun remords à ce niveau-là, qu’ils crèvent tous ». Et nous rappellerons également, en nous abstenant toutefois, par charité, de tout commentaire, le « coup de cœur » de l’insignifiant chroniqueur de CNews Kevin Bossuet pour l’armée israélienne, c’est vrai que c’est touchant les crimes contre l’humanité.
Et puis il y a ceux qui, emportés par leur élan et mis en confiance par ce bruit médiatique global duquel vous participez tous, se vautrent encore un peu plus dans l’abjection, à l’instar de la sociétaire des « Grandes Gueules » Barbara Lefebvre, déclarant le 20 février 2025 sur i24News, la chaîne israélienne du milliardaire Patrick Drahi, « [que] les civils à Gaza sont autant responsables que les membres du Hamas et du Jihad islamique » et « [qu’]une fois que tous les otages seront récupérés, il faut vider la bande de Gaza », soit un appel au nettoyage ethnique qui n’aura valu à la chroniqueuse qu’une courte suspension de l’antenne de RMC avant d’être réintégrée malgré les protestations des syndicats et des journalistes de la chaîne. Dans la catégorie abjection, difficile en outre de ne pas penser à la journaliste de science-fiction Géraldine Woessner écrivant le 4 juin 2024 que « personne n’a jamais vu de génocide qui se traduise par une augmentation de la population ciblée », au revenant Paul Amar qualifiant, le 19 février 2025, les négociations Hamas-Israël de « troc que ces sauvages infligent à la seule démocratie du Moyen-Orient », à Louis Sarkozy, encore lui, expliquant le 19 janvier 2025 que « négocier avec une culture qui engendre de tels comportements n’est ni possible ni souhaitable »,au « patron de gauche » (défense de rire) Denis Olivennes parlant de « purification ethnique anti-association juive » au sujet de l’opposition du mouvement féministe à la présence du collectif « Nous vivrons » dans les manifestations du 8 mars 2025, ou encore au très perspicace Éric Naulleau affirmant, le 3 août dernier, que « les nazis dissimulaient leurs atrocités [alors que] le Hamas les exhibe », finalement ces nazis n’étaient pas si terribles qu’on le dit.
Et nous n’oublions pas non plus les « plaisanteries » de la plagiaire Rachel Khan, invitée récurrente sur CNews/Europe 1 qui, le 17 avril 2024, en commentaire à un post du propagandiste pro-Israël Julien Bahloul attestant que la situation n’était pas si tragique à Gaza, illustré d’une vidéo d’habitants de l’enclave profitant d’une accalmie relative pour se rendre à la plage, a estimé utile de publier cette fine remarque : « J’aime bien celui qui travail [sic] son summer body en faisant des pompes », hilarant. « Humour » abject également du côté de Xavier Gorce, encore lui, avec entre autres un immonde dessin, publié le 17 octobre 2023, dans lequel il fait dire, à celui que l’on croit deviner être un dirigeant du Hamas à Gaza, « [qu’]avec tous ces enfants que l’on a placés sur la route de leurs chars, on va bien finir par avoir un crime de guerre », c’est très drôle. Dans un autre style, signalons enfin — la liste n’étant évidemment pas exhaustive — les moqueries de l’humoriste de droite Sophia Aram à l’encontre des étudiants et étudiantes de Sciences Po mobilisées en solidarité avec Gaza, dans une chronique au cours de laquelle elle a affirmé, le 29 avril 2024, que leurs actions étaient « l’occasion d’assortir un petit keffieh tout neuf à leur tout nouveau legging Lululemon » et que « leur combat pour la Palestine est beaucoup plus récent que celui qu’ils mènent contre l’acné », qu’est-ce qu’on rigole.
Chers complices du génocide, nous n’avons évidemment pas manqué de relever que les attaques contre les opposants au massacre en cours étaient aussi l’une de vos marques de fabrique, avec toujours de solides arguments, entre autres :
– Caroline Fourest soulignant, au fil d’un article publié le 11 juin 2025 dans un numéro du magazine Franc-Tireur ayant mis à la « Une » le titre « la Flottille s’amuse », comme c’est drôle, que « pendant la guerre, les héros de la flottille [pour Gaza] auraient livré Anne Frank et tout enfant juif caché dans des placards » ;
– Joann Sfar comparant, dans un dessin publié le 27 avril 2024, les jeunes mobilisés pour la Palestine avec les membres d’une organisation terroriste fasciste des années 1930, la Cagoule et, dans un autre, avec les Jeunesses hitlériennes ;
– Laurence Ferrari s’en prenant, le 22 mai 2025, à « ceux qui, par leurs paroles, leur haine aveugle d’Israël, leur antisionisme instrumentalisé à des fins politiques […], ont du sang sur les mains », et ajoutant « [qu’]ils sont aujourd’hui la pire caution des terroristes » (2) ;
– Xavier Gorce affirmant, le 29 avril 2024, lui aussi à propos des étudiants et étudiantes de Sciences Po mobilisées, que « les mouvements étudiants sont le plus souvent comme les éjaculations nocturnes non maîtrisées d’une sexualité naissante et débordante, pour la plupart, ça se calme et se structure quand le cerveau reprend le contrôle » ;
– Bernard-Henri Lévy écrivant, le 22 novembre 2024, que l’accusation de génocide fait « passer du complot judéo-maçonnique, ou judéo-bolchévique, ou judéo-capitaliste, à la conspiration judéo-génocidaire dont tous les Juifs du monde seraient plus ou moins complices »;
– etc.
Et comme les outrances calomnieuses ne suffisent pas toujours, vous vous êtes en outre fait une spécialité de la diffusion industrielle de fausses informations, qu’il s’agisse là encore de relayer sans broncher la propagande de l’armée israélienne ou de délégitimer la solidarité avec le peuple palestinien. On pense ici bien sûr à la fake news des « bébés décapités » le 7 octobre 2023, relayée entre autres par l’opportunissime députée Aurore Bergé et par le décidément fort sagace Éric Naulleau, mais aussi aux accusations de la très professionnelle Ruth Elkrief, le 1er novembre 2023, contre Amnesty International, MSF, la Croix-Rouge et l’Unicef, supposément coupables d’un « grand silence » quant au sort des otages retenus dans la bande de Gaza, une mise en cause qui s’est avérée être un énorme mensonge, ou encore au géopolitologue de l’à-peu-près Frédéric Encel se faisant l’écho, en janvier 2024, des attaques portées contre l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), en prétendant que celle-ci « propage la haine » et qu’il s’agit « [d’]un organisme moralement corrompu », sans avancer la moindre preuve — et pour cause.
Aurore Bergé n’a pas non plus manqué à l’appel lorsqu’il s’est agi de s’en prendre au mouvement de solidarité, relayant par exemple, le 13 avril 2025, l’« information » selon laquelle, durant une manifestation, « une boulangerie [aurait été] prise d’assaut à Strasbourg car elle serait israélienne », et saisissant l’occasion pour asséner son mantra selon lequel « l’antisionisme est devenu le nouveau visage de l’antisémitisme », sauf que la boulangerie n’était ni israélienne ni même juive et qu’elle n’avait pas été attaquée, ce qui n’a pas davantage empêché la sénatrice nostalgique des colonies Valérie Boyer de diffuser ce mensonge. Et on pense ici également à Joann Sfar, autre spécialiste de la propagation de fake news, qu’il s’agisse du prétendu slogan « À bas l’État, les juifs et les fachos », une manipulation rapidement débunkée, de l’amphithéâtre de Sciences Po supposément « interdit aux Juifs », une intox largement démentie y compris par ceux qui ont contribué à la diffuser, ou de l’affaire dite « des mains rouges », une tentative de disqualification brutale et malhonnête d’étudiants mobilisés en soutien à Gaza dans laquelle l’auteur de BD a joué un rôle particulièrement actif.
Lorsque l’on aime les fausses informations, on n’aime pas les journalistes, et c’est ainsi que nombre d’entre vous s’en sont pris aux professionnels des médias gazaouis, à l’instar des petits télégraphistes de l’armée israélienne Raphaël Enthoven, qui proclamait le 15 août 2025 « [qu’]il n’y a AUCUN journaliste à Gaza, uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse » et Géraldine Woessner, autrice le 30 mai 2024 de la très confraternelle déclaration qui suit : « Il n’y a pas de journaliste palestinien. Vous collez un concept occidental sur une entité qui n’existe pas », et tant pour pis pour les 250 journalistes tués par Israël depuis le 7 octobre 2023, selon les chiffres du Haut Commissariat de l’ONU aux droits humains, sans doute qu’elles et eux non plus n’existaient pas. Et notons qu’à l’instar d’une Caroline Fourest énonçant, le 29 octobre 2023 sur BFM-TV, que « les responsabilités journalistiques dans ces moments-là sont immenses [car] on a une source unique terroriste [les autorités de Gaza] » en réussissant l’exploit de ne pas expliquer pourquoi les journalistes des médias occidentaux ne peuvent pas vérifier par eux-mêmes la véracité des chiffres fournis par les autorités de Gaza, aucun d’entre vous n’a jugé bon de s’élever contre le fait que l’État d’Israël ait interdit aux journalistes de se rendre sur place, ou alors seulement de manière « embedded » avec l’armée. Nous ne pensons pas nous avancer en suggérant que ce silence est d’autant plus éloquent que si Israël avait autorisé l’entrée des journalistes mais que c’est le Hamas qui l’interdisait, vous auriez été un peu plus bruyants.
Chers complices du génocide, cette morgue à l’égard des journalistes palestiniens que vous vous autorisez, tout à votre suffisance, à juger comme n’étant pas dignes d’être reconnus comme tels, confirme que votre attitude complaisante, bienveillante voire enthousiaste à l’égard de la guerre génocidaire ne peut être comprise sans être resituée dans la perspective de votre adhésion, plus ou moins résolue, à une vision du monde fondée sur le postulat d’un « choc de civilisation » et d’une supériorité morale de « l’Occident », auquel vous associez l’État d’Israël, qui justifierait tous ses crimes au nom de « valeurs » partagées, comme en témoignent les déclarations des moins pudiques d’entre vous :
– Aurore Bergé, (dès) le 29 mars 2022 : « Nous avons avec Israël les mêmes valeurs démocratiques et les mêmes bourreaux. »
– Caroline Yadan, le 17 juin 2024 : « Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient, au sein de laquelle toutes les libertés fondamentales sont respectées, celles des oppositions, de la presse, des minorités. »
– Laurence Ferrari, le 20 février 2025 : « Cette guerre qui se déroule ici et là-bas ne concerne pas seulement Israël et les Juifs. Elle concerne aussi notre société, notre mode de vie, notre identité, c’est une guerre de civilisation. »
– Kevin Bossuet, le 28 février 2025: « Il faut continuer à soutenir Israël qui défend nos valeurs et notre civilisation face aux crevures islamistes. »
– Michel Onfray, le 30 juillet 2025 : « Israël [est le] navire amiral de l’Occident. »
– etc.
Votre absence totale d’empathie vis-à-vis du peuple palestinien, jusqu’à la déshumanisation, et votre soutien sans faille à l’État d’Israël, jusqu’à l’identification, s’inscrivent en définitive dans un continuum fortement teinté de néocolonialisme et, partant, de racisme, malgré les nuances qui peuvent exister entre vous, tout le monde ne posant en effet pas des questions aussi brutales que la prétendue journaliste mais néofasciste avérée Juliette Briens : « Préférez-vous vivre avec les Juifs d’Israël ou les musulmans de Gaza ? Mon choix est fait depuis longtemps », on avait compris. Ce tropisme néocolonial est en effet la seule explication rationnelle à vos compassions sélectives, à l’instar de celles de Caroline Fourest expliquant doctement, le 10 octobre 2023, « [qu’]on ne peut pas comparer le fait d’avoir tué des enfants délibérément, en attaquant comme le fait le Hamas, et le fait de tuer des enfants involontairement comme le fait Israël » ou de celles de Raphaël Enthoven philosophant, le 29 octobre 2023, sur le fait « [qu’]il y a une différence à faire entre des gens, des civils qui sont assassinés dans la rue par des commandos islamistes, qui débarquent dans les villages pour brûler les maisons, et les victimes collatérales de bombardements consécutifs à cette attaque ». Un tropisme qui permet aussi de comprendre comment, malgré l’accumulation des témoignages, des preuves et des enquêtes, vous continuez de nier activement l’ampleur de la tragédie en cours, voire de la justifier ouvertement, ne vous contentant dès lors pas d’y être indifférents mais faisant preuve, chacun à votre échelle, d’une forme de complicité plus ou moins active.
Et c’est sans aucun doute ce sentiment de supériorité coloniale qui vous pousse à vous sentir légitimes à asséner vos « vérités », malgré les évidences, en traitant par la condescendance, la mépris voire la hargne les points de vue qui ne sont pas les vôtres, y compris lorsque, contrairement à vos élucubrations, ils sont fondés sur des faits, quitte à user d’« arguments » dont la nature ne laisse planer aucun doute quant à la solidité de vos prises de position. « L’armée israélienne peut être accusée de crimes de guerres […] mais user du terme de génocide relève de la confusion mentale la plus élémentaire », affirmait ainsi sans ciller l’indispensable Laurent Joffrin le 27 janvier dernier, jugeant visiblement utile de psychiatriser celles et ceux ayant l’audace de caractériser comme un génocide le massacre, doublé d’un nettoyage ethnique, en cours à Gaza. Dans un autre style, Jean Quatremer les accusait quant à lui, le 25 mars 2024, de « valider le récit des terroristes islamistes du Hamas dont le but est de nier le droit à l’existence de l’État juif », subtil et imparable argument s’il en est. Cette semaine encore, le décidément très bavard Raphaël Enthoven a jugé bon de qualifier l’emploi du terme génocide de « fable », de « fausse accusation » et d’« accusation monstrueuse », dans une interview qui souligne en outre à quel point la focalisation sur le rejet du mot « génocide » dissimule mal une volonté de délégitimer toute solidarité avec le peuple palestinien et de relativiser, voire de nier l’ampleur du massacre en cours.
Et pourtant.
Et pourtant, tout le monde peut voir. Et pourtant, depuis deux ans, les Gazaouis ont informé et alerté en documentant, chaque jour, les agissements de l’armée israélienne. Et pourtant, un nombre toujours grandissant de chercheurs, ONG et institutions (4) ont caractérisé les massacres comme constitutifs du crime de génocide — mais probablement oscillent-ils entre la « confusion mentale » et la « validation du récit des terroristes islamistes ». À commencer par l’historien israélien Raz Segal, spécialiste des génocides, qui s’est élevé dès le 16 octobre 2023 contre ce qu’il a appelé un « cas d’école de génocide », rapidement suivi par le collectif juif étatsunien Jewish Voice for Peace (28/10/2023), par Craig Mokhiber, alors directeur du bureau new-yorkais du Haut Commissariat de l’ONU aux droits humains (28/102023), et par 40 experts indépendants de l’ONU (16/11/2023). Depuis lors, les alertes et enquêtes se sont multipliées, venues — liste non exhaustive — de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH, 12/12/2023), de Michael Fakhri, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation (27/02/2024), de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les territoires palestiniens (26/03/2024), d’Omer Bartov, historien israélien de la Shoah (13/08/2024), d’Amos Goldberg, historien israélien titulaire de la chaire d’études sur la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem (29/10/2024), d’Amnesty International (05/122024), de MSF (19/12/2024), de Human Rights Watch (19/12/2024), de la Commission d’enquête indépendante de l’ONU sur les territoires palestiniens et Israël (13/03/2025), de Saskia Kluit, rapporteuse de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (PACE) (23/05/2025), des ONG israéliennes B’Tselem et Physiciens for Human Rights (28/07/2025), de l’Association internationale des spécialistes des génocides (31/08/2025) et, comme mentionné plus haut, d’une Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU (16/09/2025) (5), qui ont toutes et tous parlé de « génocide » pour qualifier les événements en cours à Gaza.
Chers complices du génocide, le porte-parole de l’armée israélienne Olivier Rafowicz, qui aime à répéter que « l’ONU reprend le narratif du Hamas », peut être fier de vous et pourrait vous adresser ses félicitations, ainsi qu’il l’avait fait le 6 octobre à l’attention du talentueux Benjamin Duhamel et de BFM-TV, il est vrai particulièrement exemplaire dans son traitement des événements de Gaza. Chacun à votre façon, et parfois en joignant vos efforts, vous jouez en effet depuis deux ans le rôle de relais de la propagande de l’État d’Israël, de façon plus ou moins subtile et plus ou moins explicite, une attitude qui ne peut être autrement qualifiée que de complicité au sens où la définit, par exemple, le dictionnaire Robert : « Participation à la faute, au délit ou au crime commis par un autre ». Les preuves du crime sont là, ainsi que celles de votre participation à sa commission, et continuent chaque jour de s’accumuler : sachez que le temps viendra, plus vite sans doute que vous ne le pensez, de rendre des comptes, et qu’il n’y aura, ce jour-là, ni oubli ni pardon.
Cordialement,
Jules Blaster
(1) Et que dire des signatures de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Ariel Goldmann, président du Fonds social juif unifié (FSJU), Elie Korchia, président du Consistoire central, et Haïm Korsia, grand rabbin de France, qui entretiennent une dangereuse confusion entre institutions juives et hostilité aux droits nationaux des Palestiniens ? La meilleure des réponses à cette question a probablement été donnée dans une autre tribune, publiée par l’Humanité le 30 septembre, dans laquelle le collectif juif « Pas en notre nom » affirme que « les représentants des communautés juives ne devraient pas se faire l’écho des positions politiques du gouvernement israélien » et que les auteurs de la tribune « se sont fait les propagandistes d’un gouvernement criminel qui mène une guerre génocidaire contre les Palestiniens, une guerre qui aura à terme des conséquences dévastatrices pour les Israéliens, et qui met déjà en danger les Juifs du monde entier », on ne saurait mieux dire.
(2) Voilà qui méritait bien de recevoir, au cours d’un gala de soutien à l’armée israélienne, organisé le 27 mai 2025 par la « Diaspora Defense Forces » (DDF), au cours duquel on a bien ri en jouant à un « quiz » ironisant sur le nombre de victimes civiles à Gaza, animé par Barbara Lefebvre, le monde est petit, un « prix d’honneur des Justes du 7 octobre ».
(3) Sans oublier cet inclassable de Rachel Khan, le 1er septembre 2024 : « Israël est le tirailleur sénégalais de l’Occident » (sic).
(4) Nous avons établi ici une liste des chercheurs, ONG et institutions perçues comme « occidentales », non parce qu’ils et elles ont une légitimité supérieure mais parce qu’ils et elles produisent des informations largement diffusées et accessibles pour quiconque souhaite, en France, sincèrement s’intéresser à la situation. Nos remerciements à Johann Soufi pour son précieux travail.
(5) Une chronologie qui fait voler en éclat l’inepte théorie des « deux guerres de Gaza », laquelle voudrait que, depuis mars 2025, on soit passé d’une « guerre juste » à une « guerre injuste » ou, variante, d’une « guerre d’autodéfense » à une « guerre de conquête ».