Le procès de Zoé Maroilley à Clermont Ferrand a fait l’objet d’une bonne mobilisation devant le Tribunal du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien et d’intenses interventions pendant l’audience. Deux militant-es de l’UJFP, Sarah B. Lévy et Jean-Guy Greilsamer, étaient lors de l’audience témoins en soutien à Zoé ; d’autres camarades de l’UJFP avaient manifesté leur solidarité en la transmettant par un texte adressé à l’un-e des avocats de Zoé. Zoé était accusée du chef de « provocation à la haine et à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée en l’espèce la population juive ». Nous transmettons ici l’article de Mediacoop, Critiquer la politique d’Israël n’est pas un délit qui a été rédigé dans de mauvaises conditions acoustiques et, bien que contenant des approximations, donne un récit assez fidèle du déroulé du procès, ainsi que l’intervention des avocats de Zoé. Ces deux documents, instructifs, reflètent l’ambiance lors du procès. Le verdict sera prononcé le 13 octobre ; il serait inquiétant que ce ne soit pas une relaxe.
Ce mercredi, Zoé, militante pour les droits palestiniens était attendue au tribunal de Clermont-Ferrand pour répondre d’un communiqué qu’une association juive considère comme « une incitation à la haine du peuple juif. »
Dès 14H, la place de l’étoile, devant le tribunal, se remplit de plus de 100 personnes pour soutenir Zoé, cette jeune militante de 26 ans. Elle arrive tout sourire, et prête à s’exprimer. « Je déteste la haine, c’est violent de vouloir me faire passer pour antisémite, alors que je me bats contre toutes les discriminations. » Nous confie-t-elle avant d’entrer dans la salle d’audience.
Des plaignants absents
Face à elle, personne. Pourtant, Zoé est traînée en justice après une alerte d’un conseiller départemental de droite, qui a prévenu l’Association Cultuelle israélite, ACI. Celle-ci a donc porté plainte avec constitution de partie civile. Ce qu’apprennent les avocats, au moment de l’audience.
Un communiqué du collectif Intifada mis en cause
Mais, reprenons du début. La juge lit les propos incriminés. Dans un communiqué publié sur Instagram, le collectif Intifada annonce sa création et tout en se présentant comme collectif non violent, écrit son « soutien à la résistance palestinienne, y compris armée. »
Très vite, les avocats attaquent sur la forme. Ici, il s’agit de parler de la loi de la presse et de l’expression, de 1881. Dans ce genre de procédure, les citations doivent être extrêmement précises. On parle d’exigence de citation, dans l’article 53.
La liberté d’expression mise en débat
Dès qu’une citation crée une ambiguïté, elle ne peut être poursuivie, les « longs passages » ne peuvent être considérés comme recevables, selon l’arrêté de 2012. Or, 3 propos sont incriminés de façon différentes, et les 4 pages ont été présentées comme incitation à la haine. Enfin, le communiqué a été tronqué, puisque n’apparaît pas sa description où « la non-violence du collectif » est écrit. Donc, les avocats ne savent pas à quoi répondre : Création du compte ? Puisque la date retenue est celle-là. Propos visés ? Mais lesquels ? puisque les 4 pages sont incriminées….

La loi de 1881 est extrêmement particulière, et l’atteinte au droit de la presse unique.
Mais, la juge décide alors de raconter l’affaire.
A l’origine, un conseiller départemental de droite
Le 8 avril 2024, une association juive est informée par un conseiller départemental de droite, de l’existence de ce nouveau collectif, en l’affichant sur les réseaux sociaux dès le 31 mars dans un post Facebook puis par un courrier au préfet appelant à la dissolution du collectif, qu’il rend public.
L’association dépose alors plainte, craignant des actions isolées contre des bâtiments ou des personnes. Un an et demi plus tard, aucune action violente de la part de ce collectif n’est pourtant à déplorer.
Le conseiller départemental mis en cause par les 3 avocats de la défense avait écrit que le collectif de soutien à la Palestine est en fait une « menace contre la république », « une apologie au terrorisme » et parle d’un « collectif très actif » dans son courrier au préfet.
Zoé, identifiée comme l’une des deux adresses IP connectée ce jour-là sur le compte passera en audition libre le 20 février 2025.
Déclaration de Zoé à la barre
Aussi, à la barre, la jeune femme tient à faire une déclaration. « Je ne tolèrerai jamais aucune discrimination. C’est d’ailleurs pour cela que ma voix se porte contre le génocide.(…) Je suis hallucinée d’être là pour antisémitisme. Je n’ai aucune haine contre les juifs, mais je suis contre le gouvernement en place. Il ne faut pas confondre l’antisionisme et l’antisémitisme.. Condamner ce génocide est ma liberté et même, c’est pour moi, un devoir. »
La tête haute, mains agrippées à la barre, Zoé poursuit : « Notre président a lui-même été traité d’antisémite lorsqu’il a défendu la reconnaissance à l’Etat palestinien. Il y a trop de confusion. Etre antisémite, ce n’est pas ça. Je crois que ce procès initié par un conseiller départemental de droite est purement politique, afin de faire taire les militants. Je resterai constante dans mes luttes contre toutes les discriminations. Etre antisioniste c’est s’opposer à une politique, pas à un peuple ou une religion. Dénoncer la tuerie, s’opposer au génocide, c’est juste de l’humanité. »
Zoé se tait. Pas un bruit dans la salle. D’une voix calme et assurée, elle reprend : « J’ai rejoint le collectif car les massacres m’étaient intolérables. Des enfants très jeunes, des personnes de mon âge qui n’ont jamais vécu librement. »
La juge la regarde. Puis la questionne : « Y a-t-il des liens avec le 7 octobre? » Zoé répond du tac au tac: « Non mon engagement date de bien avant. »
« Mais alors, pensez-vous que les lecteurs aient pu faire l’amalgame en lisant votre communiqué entre antisionisme et antisémitisme? » Reprend la juge. « Non madame la présidente, sauf s’ils ont été manipulés politiquement comme a voulu le faire le conseiller départemental. »
Zoé reprend la parole avant de laisser place aux témoins : « Je ne suis pas au courant d’actes antisémites à Clermont-Ferrand. »
Un premier témoin
Le premier témoin s’approche de la barre. Courbé par le poids des années, mais relevant la tête, Jean Guy Greilsamer, habitant à Paris, a fait le déplacement. Il est ancien co-président* de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Son témoignage ne laisse aucune place aux questions. « C’est grave d’accuser Zoé d’antisémitisme. Je suis d’origine juive alsacienne, et je ne veux pas porter en mon nom cette politique génocidaire. Nous devons avoir de l’empathie pur tous les peuples. Alors, je vais vous dire ce qui menace le plus les juifs ce ne sont pas les collectifs comme Intifada, mais c’est la politique d’Israël. Ce n’est en acun cas ce communiqué qui fait des morts. »

Puis, le vieil homme raconte son histoire, son père prisonnier de guerre, sa mère et ses grands-parents qui ont échappé de peu à la rafle de 1944. « J’ai eu une éducation juive rudimentaire. » Il retourne s’asseoir, personne n’a plus de question à lui poser.
La juge demande à Zoé de revenir à la barre : « Mais vous êtes dans la lutte armée? » Zoé s’offusquerait presque! « Non! Nous sommes un collectif non violent mais dans le boycott et le besoin d’informer les gens. Et je rappelle que la résistance armée est légitimée par l’ONU en Palestine. »
Deuxième témoin
La deuxième témoin arrive. Sarah B. Lévy*. Elle est venue de Lyon et est membre de la coordination nationale de l’ UJFP*. « Nous ne voulons pas de crime en notre nom. » Commence-t-elle. « Je suis juive mais pas sioniste. Mon grand-père a été prisonnier de guerre et j’ai grandi dans un Plus jamais ça. » Et là voilà qui explique qu’on peut être sioniste sans être juif comme Biden ou certains évangélistes américains.

Elle explique aussi que de nombreux juifs sont contre le projet sioniste. « Les antisémites sont alliés de la politique d’Israël, pas contre elle. Le collectif Intifada dénonce cette politique ! Ceux qui nous mettent en danger sont ceux qui jouent à la confusion entre antisionisme et antisémitisme. »
Zoé a fait une licence de droit, travaille en tant qu’éducatrice depuis 4 ans. « Je suis athée et je n’appartiens à aucun parti politique. Je suis juste syndiquée. »
En face, personne. Pas d’avocat pour la partie civile, pas de représentant. Juste un courrier où l’association demande un euro de dommages et intérêt.
Réquisition de la procureure
Lors de son réquisitoire, la procureure contextualise en parlant de nombreux passages à l’acte en France, qu’il faut condamner. « Mais aussi faire de la prévention contre les propos haineux. Nous sommes dans un état de droit et on peut critiquer une politique, faire du boycott, mais ce que l’on écrit a un impact. »
On ne sait pas très bien si elle parle de ce communiqué ou de celui du conseiller départemental sous lequel de nombreux commentaires cherchaient à diviser et à insulter « la gauche ».
La procureure poursuit : « La liberté d’expression peut être limitée dans des cas précis, notamment dans des cas où ces propos provoqueraient des actions. »

Mais, la procureure ne se leurre pas. Et propose une simple amende avec sursis. Cependant elle s’oppose à la nullité du B2, soit l’inscription au casier. Si les réquisitions étaient suivies, Zoé étant fonctionnaire, cela l’empêcherait de continuer son travail.
Plaidoirie de Maître Marcel
Maître Elsa Marcel, arrivée de Paris dans la matinée, est avocate depuis 3 ans, et spécialisée dans ce genre d’affaires. « Et depuis 3 ans, on en est encore là ! Alors, je vais encore le rappeler, le génocide est caractérisé par l’ONU, et c’est le premier génocide filmé. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Mais que les choses soient claires, en France, on essaie de restreindre le débat public, pourtant, critiquer l’antisionisme n’est pas un délit ! »
Puis, à l’avocate de poursuivre : « dans le communiqué, la communauté juive n’est pas nommée. Elle n’est pas visée. Alors comment pourrions nous dire qu’il s’agit d’une incitation à la haine contre un peuple ? »
Quant à la résistance armée, là encore l’avocate a du répondant : « La résistance armée relève du droit international. L’ONU appelle à résister par tous les moyens pour le droit des peuples. C’est écrit : Un peuple opprimé a le droit de prendre les armes pour se défendre ! »

Pour elle, l’infraction n’est donc pas constituée, et elle appelle à la relaxe de sa cliente. Elle va jusqu’à parler d’un procès-baillon. « Ces poursuites pénales jouent un rôle dans ce conflit. C’est grave. L’expression militante est importante. Et nous avons besoin de ces jeunes. »
Deuxième plaidoirie
Maître Marcelot, deuxième avocate commence sa plaidoirie avec conviction : « Je ne suis pas convaincue qu’on avait besoin d’être trois pour obtenir la relaxe. C’est un dossier qui me révolte. En 2025, on peut encore être salie et devoir répondre d’un soutien au peuple palestinien. On est vraiment sérieux là ? »
D’ailleurs, elle ne comprend pas que « juridiquement, critiquer la politique d’Israël tienne encore. Nous sommes dans la répression politique et il serait temps de séparer les pouvoirs. Nous allons arrêter avec l’instrumentalisation des tribunaux. »
Le conseil de Zoé n’en a pas fini : « Un conseiller départemental qui saisit une association qui d’ailleurs n’en est pas une, on n’a pas les statuts, et qui aimerait qu’on condamne une jeune femme sans savoir si elle a publié, écrit, géré le compte. »
Car l’avocate a fait le compte : 17 adresses IP sont reliées au compte Insta. 2 adresses se sont connectés le jour de la publication du communiqué. Une seule a été retenue pour des investigations. « L’autre était sur un autre opérateur qui n’a pas été contacté. Donc, on ne peut dire qu’à 50 % que Zoé est peut-être la personne qui a publié le communiqué. »
Puis, elle s’en prend de nouveau au conseiller départemental de droite. « Il publie sur les réseaux que la citation « de la mer au Jourdain » appartient au Hamas. C’est peu connaître l’histoire. Cette expression est la même dans la charte de création…du Likoud, parti de Netanyahu ! Mais aussi dans une charte de 1964 pour parler des frontières du territoire. Cette expression a été reprise par le Hamas bien plus tard ! »

Aussi elle reprend : « lutte armée. On parle de quoi là? Il y a un conflit entre une des plus grosses armées du monde et un état palestinien qui n’a pas d’armée ! on parle de gosses qui balancent des cailloux. Je vous rappelle que Zoé est athée et que je la vois mal soutenir le devoir moral islamiste du Hamas ! »
Enfin, elle conclut sur le droit de la presse qui doit pour une constitution en partie civile être une association de plus de 5 ans. « Or, l’ACI (Association Cultuelle Israélite) n’a pas de date de création. Idem pour l’Observatoire Juif de France qui voudrait aussi se constituer partie civile mais qui ne l’a pas fait, si je comprends bien. »
Conclusions par Maître Borie
Maître Borie conclut la plaidoirie. « Nous sommes 3 car cette affaire est trop grave. C’est une procédure inquiétante pour la liberté d’expression. Il s’agit d’une volonté politique de faire taire certaines idées. Mais je regrette que les plaignants ne soient pas là pour avoir un débat fraternel. Etre dans la lutte contre le génocide ne veut pas du tout dire être contre les juifs. D’ailleurs j’espère que les juifs clermontois prennent leurs distances avec ce génocide ! »

Maître Borie s’en prend au conseiller départemental « qui est de droite extrême et qui confond antisémitisme et antisioniste. Il veut juste faire taire des idées qui ne lui conviennent pas. »
Pour conclure, il plaide la relaxe. « D’ailleurs une amende avec sursis par la procureure c’est un aveu qu’il n y a rien. Mais surtout, il ne faut pas sanctionner sa carrière. Elle travaille dans la fonction publique. Il ne faut pas d’inscription dans son casier. »
Le délibéré sera rendu le 13 octobre.
A sa sortie, Zoé a été acclamée, tout comme ses avocats.

Merci à Simon, Sims, pour ses magnifiques dessins de presse, offerts à Mediacoop.
Article écrit par Eloise LEBOURG
*rectif