Union juive française pour la paix

Témoignage d’Abu Amir, le 2 septembre 2025 – Gaza… Une enfance crucifiée sur les murs du silence mondial

rentree des classes gaza 1320x904 1 Témoignage d'Abu Amir, le 2 septembre 2025 - Gaza… Une enfance crucifiée sur les murs du silence mondial

Dans un territoire assiégé depuis de longues années, la tragédie croise la résilience des habitants comme l’ombre croise la lumière. Gaza, aujourd’hui, n’est pas un simple titre éphémère défilant sur les chaînes d’information, mais un test moral qui révèle ce qu’il reste d’humanité dans le monde. La machine de guerre ne s’arrête pas, les maisons s’effondrent sur leurs occupants, les camps s’élargissent sous l’effet de vagues de déplacements dont les habitants ignorent le chemin du retour. La mer, qui autrefois offrait aux habitants de la ville une brise légère, s’ouvre désormais sur un littoral rempli de tentes et de ruines. Et pourtant, dans les petits détails, se répètent des histoires de survie : un père partage un morceau de pain sec entre ses enfants, une mère transforme une tente en école sur le sable du rivage, des secouristes courent entre les lignes de feu avec des poches de sérum et des bandages insuffisants, et un frère serre la main de son frère blessé pour que leurs âmes ne s’éteignent pas ensemble. Cette image condensée n’embellit pas la réalité, elle la fait parler : une cruauté excessive, et une détermination plus dure que le fer.

Depuis la fin de l’année 2023, les vagues de raids et d’incursions se sont succédé, jusqu’à transformer toute la géographie en champ de cibles. Le petit territoire est devenu une carte d’épaves et de besoins. Chaque semaine ajoute une nouvelle liste de victimes. Le nombre de martyrs a dépassé des dizaines de milliers, tandis que celui des blessés a été estimé à plusieurs fois plus. Ce sont des chiffres qui pèsent sur la poitrine comme un rocher, mais qui ne comptabilisent pas tout ce qui s’est perdu sous les décombres : des noms, des souvenirs, des chemins de vie.

Mais les chiffres les plus cruels sont ceux qui concernent les enfants. À Gaza, les enfants ne sont pas une note en marge de la guerre ; ils en sont le texte même. Les avertissements se sont transformés en réalités : blessures, amputations, déformations permanentes, orphelins privés de soins, des milliers d’enfants sans parents, d’autres vivant entre la peur et la privation, certains séparés de leurs familles sans personne pour leur tenir la main au milieu de ce chaos. C’est une enfance ensevelie sous les décombres, rejetée dans des camps qui ne ressemblent pas à des maisons, et poursuivie chaque nuit par des cauchemars.

La guerre a un autre visage, tout aussi meurtrier : la faim. Au fil des mois, des quartiers entiers ont basculé au bord de la famine. Les visages pâles des enfants sont devenus l’image quotidienne d’une ville assiégée. Les longues files d’attente devant les points de distribution alimentaire ne signifient pas que la nourriture arrivera, mais qu’il faut patienter dans des conditions périlleuses. Les scènes d’enfants fouillant les sacs d’ordures à la recherche d’une bouchée sont devenues familières, tandis que les petits corps maigrissent et que la souffrance s’alourdit dans les yeux des mères.

Sous ce plafond oppressant de bombardements et de faim, le système de santé s’effondre. Les hôpitaux fonctionnent à moitié de leurs capacités, parfois moins. Les médecins opèrent à la lumière vacillante, avec des anesthésiques insuffisants. Les services d’urgence débordent, mélangeant blessures complexes et maladies chroniques dont le traitement est interrompu. Chaque minute de retard peut signifier une vie perdue, et chaque salle de réanimation ressemble à un autre champ de bataille.

Et si la faim et la médecine crient, l’eau, l’éducation et l’abri crient à leur tour. Des millions de litres d’eau contaminée provoquent des maladies intestinales chez les enfants, sans parler des coupures d’eau. Les écoles sont détruites ou transformées en centres d’hébergement surpeuplés qui n’ont rien de l’éducation. Le déplacement à Gaza n’est pas un événement unique ; ce sont des vagues successives qui obligent les familles à dresser et démonter leurs tentes, à revenir avec inquiétude puis à fuir à nouveau. Des centaines de milliers de déplacés cherchent un refuge qui n’existe pas.

Sur le plan psychologique, une blessure silencieuse échappe aux diagnostics médicaux : les cauchemars des enfants, les crises de panique, l’énurésie, les longs silences qui recouvrent des visages d’enfants vieillis trop tôt. Les programmes de soutien psychologique et social ne suffisent pas à effacer cette douleur, et ne peuvent rendre une enfance volée par une décision internationale tardive.

La guerre assiège l’enfance de toutes parts — bombardements, faim, maladies, froid ou chaleur, arrachement des foyers. Les parents livrent leurs batailles quotidiennes : maintenir leurs enfants en vie, obtenir un vaccin à temps, une dose contre la malnutrition, un verre d’eau potable, et une heure de jeu qui redonne un sens à l’enfance loin du vacarme des avions.

Et pour comprendre davantage la cruauté de l’image, il suffit de se rappeler que les files d’attente devant les points de distribution d’eau et de nourriture sont elles-mêmes devenues des zones de danger. Beaucoup ont été tués ou blessés alors qu’ils attendaient un camion de farine ou une caisse de vivres, transformant l’instant d’espérance en tragédie faite de pauvreté et de balles.

Malgré tout cela, Gaza continue de produire du sens à la cohésion : initiatives locales pour cuire du pain dans des fours rudimentaires, jeunes transportant l’eau dans des seaux sur des vélos délabrés, enseignants traçant les lettres sur des cartons, grands-mères transformant des recettes de cuisine en leçons de patience. Mais cet héroïsme quotidien ne décharge pas la communauté internationale de ses responsabilités, et ne devrait pas servir de prétexte à prolonger la catastrophe.

Au cœur de ce texte se tiennent les enfants : des enfants dont les parents ont été tués ou blessés, se retrouvant seuls face à un monde sans soutien ; des enfants portant des cicatrices visibles et d’autres invisibles ; des enfants luttant sous le toit bas d’une tente, avec le vent jouant avec quelques livres rescapés des bombardements ; des enfants qui connaissent mieux le bruit des avions que celui des oiseaux.

Il est écrit pour Gaza de prouver, encore et encore, que l’homme peut porter une mémoire plus lourde que son corps sans plier. Mais la justice n’est pas un test de résistance pour les victimes, ni l’équité une condition de leur endurance. La justice, c’est que cessent les bombardements, que le blocus soit levé, que les convois de nourriture et de médicaments entrent sans entraves, que les petites mains retrouvent les bancs de l’école, qu’au moins un enfant puisse dormir une nuit entière sans entendre d’explosions.

En attendant cela, les habitants de Gaza continueront de retisser leur tissu social : des voisins partageant du pain et des couvertures, des bénévoles soignant les blessures avec le peu disponible, des pères et des mères essayant de protéger l’enfance de l’extinction par des histoires et des chansons, des secouristes ouvrant un passage entre l’odeur de la fumée et le hurlement des sirènes. Le frère continuera de tenir la main de son frère blessé pour qu’ils ne tombent pas — non par faiblesse, mais parce que ce geste, au cœur de la tourmente, leur rappelle que la vie mérite d’être portée ensemble, même au bord du gouffre.

Et entre tout cela, l’appel reste clair : Assez. Assez de meurtres, de faim, de terreur. Assez de souffrance pour les mères, les pères et les enfants. Assez de retarder le droit fondamental à la sécurité et à la dignité. Gaza n’est pas une succession de titres brefs sur les écrans, mais des maisons, des prénoms, des cahiers d’école, des chansons de fête suspendues dans l’air, attendant le jour où la vie sera réorganisée — et où les enfants retrouveront enfin leur enfance

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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