Depuis de longs mois, les habitants de Gaza vivent au rythme des avancées et des reculs, au gré des nouvelles concernant des négociations qui commencent et s’achèvent sans résultats. Ils vivent dans une attente inquiète et amère, s’accrochant à la moindre lueur d’espoir qui pourrait les sauver de ce cycle de sang et de destruction. Mais à la fin, ils reviennent toujours au même cercle de déception : les flammes de la guerre ne s’éteignent pas, le sang continue de couler, et les promesses relayées par les médias d’une issue imminente ou d’un apaisement proche ne se concrétisent jamais. Les négociations semblent être devenues un rituel répétitif qui ne produit que davantage de questions lourdes sur la poitrine des gens. Pourquoi l’échec ? Qui en porte la responsabilité ? Et quelle logique pourrait convaincre une mère qui a perdu ses enfants sous les décombres que ce nouveau cycle de pourparlers ne finira pas dans le néant, comme les précédents ? Dans ce moment psychologique chargé de désespoir, de colère et d’attente, la question des causes de l’échec devient existentielle, non seulement politique, touchant directement la vie et le droit à l’existence des gens.
Le principal obstacle à ces négociations, sans équivoque, est Israël. C’est la partie qui détient les outils de la force et les utilise sans pitié, transformant la table des négociations en une scène de chantage, imposant des conditions irréalisables et gagnant du temps, consciente que chaque jour sans accord lui offre une occasion supplémentaire d’ancrer une nouvelle réalité sur le terrain, une réalité faite d’occupation, d’expulsion et de domination. Israël ne cherche pas à mettre fin à la guerre, mais à l’exploiter ; elle ne recherche pas une solution juste, mais un abandon camouflé par le langage des accords. Et derrière elle se tiennent ses grands alliés, qui lui offrent couverture politique, armes et temps, laissant la victime seule face à une machine de guerre sans pitié. Mais suffit-il de rejeter tout le blâme sur l’ennemi ? Ne devons-nous pas aussi nous interroger sur nos propres failles ?
La première question se pose quant aux membres de la délégation négociatrice : possèdent-ils les qualités essentielles pour représenter le peuple et préserver la cause ? Ont-ils une vision claire, une volonté ferme ? Ou bien les divisions politiques et les calculs factionnels se reflètent-ils dans leurs performances, affaiblissant leur position et offrant à l’ennemi une large marge de manœuvre ? Quand le négociateur devient prisonnier de ses appartenances étroites, il devient incapable de porter les préoccupations de tout un peuple, et les négociations se transforment en un conflit interne déguisé en cause nationale. Alors, n’avons-nous pas besoin de négociateurs conscients que la cause qu’ils portent n’est pas un dossier partisan, mais une question de sang, de vies, de terre et d’existence ?
Il y a aussi la question du temps et du lieu : combien de fois ces négociations se sont-elles déroulées à des moments inopportuns, dans des lieux non neutres, loin de la voix du terrain et des cris des victimes, comme si elles se déroulaient dans une tour d’ivoire détachée du sol ? Le choix du temps et du lieu a souvent été un facteur décisif d’échec, car un négociateur détaché de la réalité de son peuple perd la capacité de défendre cette réalité avec force. Quant aux médiateurs, censés faciliter les solutions, combien de fois se sont-ils transformés en outils de pression, exigeant des Palestiniens davantage de concessions au nom du réalisme, tout en fermant les yeux sur l’intransigeance d’Israël et son refus de tout engagement réel ?
Il faut également examiner la nature des revendications et des propositions présentées à la table : sont-elles équilibrées, reflétant le poids de la cause et les sacrifices du peuple ? Ou oscillent-elles entre des plafonds irréalisables dans les conditions actuelles et d’autres si bas qu’ils éveillent la suspicion et ouvrent la porte à des concessions gratuites ? Le problème majeur réside dans cette oscillation, qui permet à l’ennemi de jouer ses cartes : accuser la partie palestinienne d’exagérer lorsqu’elle fixe des exigences élevées, et exploiter sa faiblesse lorsqu’elle abaisse ses prétentions. L’équilibre devient ici une nécessité existentielle : il impose que les revendications soient liées à la réalité du terrain et au poids du sang versé : ni excès qui conduit à l’impuissance, ni abandon qui mène à la liquidation de la cause.
Nous devons comprendre qu’un recul d’un ou deux pas à un moment donné ne signifie pas la défaite, mais peut être la voie pour préserver l’essence de la cause, à condition que ce recul soit tactique et non stratégique, un moyen de protéger le peuple et non un prétexte pour vendre ses droits. Car se maintenir sur la terre, assurer la présence du peuple sur son sol, est en soi une victoire. Les accords fragiles qui paraissent être des acquis alors qu’ils constituent en réalité un abandon des principes, sont le danger le plus grand, car ils risquent de transformer le sang des martyrs en simples chiffres dans les archives de l’oubli.
Le plus dangereux dans la continuité de l’échec est qu’il profite directement à Israël. Elle en est la première et la dernière bénéficiaire, car elle sait que la temporisation en période de faiblesse équivaut à multiplier les pertes palestiniennes. Chaque jour sans résultat est un jour supplémentaire d’usure des infrastructures de Gaza, d’épuisement des forces et de la résilience du peuple, et de nouveaux déplacements et déracinements. L’ennemi exploite habilement cette continuité, transformant les négociations en un théâtre absurde où il apparaît comme le « partisan de la paix » tout en poursuivant sans relâche sa guerre sur le terrain.
Mais au-delà de cela, il existe un danger encore plus insidieux : l’effondrement de la conscience des gens. Quand les cycles d’échec se répètent, les gens commencent à perdre confiance dans l’utilité des négociations, à sentir que leur sang est versé en vain, et que leur cause est gérée comme un simple dossier administratif et non comme une lutte de libération et d’existence. C’est alors que la douleur se décuple : perte politique dans les salles de négociation, et perte psychologique dans les cœurs. Et si nous perdons la conscience des gens, nous perdons le véritable soutien qui donne un sens à toute négociation.
D’où l’importance d’un discours négociateur issu du peuple, enraciné dans ses souffrances, protégé par sa conscience. Le négociateur doit toujours se rappeler qu’il ne représente pas un parti ou une faction, mais des millions d’êtres humains vivant sous les bombes, et l’histoire d’un sang versé à travers les générations. Il doit élever sa voix, non pour demander de nouvelles concessions, mais pour dire au monde : « Arrêtez les tueries, arrêtez le génocide, arrêtez la destruction. » Lorsque cette voix est sincère, elle impose un siège moral à l’ennemi et met à nu la fausseté de ses prétentions à rechercher la paix.
La continuité de cet échec nous place à un carrefour dangereux : soit nous restons prisonniers du jeu stérile des négociations qui nous consument temps et sang, offrant à Israël davantage de temps pour consolider son projet ; soit nous refondons notre approche des négociations, équilibrant entre l’ambition et les impératifs de la réalité, en faisant de la protection du peuple et de la sauvegarde de la cause une priorité absolue, avant toute autre considération.
La question aujourd’hui ne réside pas uniquement dans les détails du lieu et du temps, ni dans les textes des propositions, mais dans la volonté qui décidera si ces négociations sont un chemin vers la résilience ou une voie vers la liquidation. La question est de comprendre qu’Israël est l’obstacle premier, que le facteur temps ne joue pas en notre faveur, et que le sang versé quotidiennement nous impose une responsabilité historique à la hauteur de ce poids. La véritable victoire ne réside pas dans un accord imposé par l’ennemi, mais dans le fait que la cause reste vivante malgré les pertes, et que le peuple demeure sur sa terre malgré toutes les tentatives d’expulsion.
C’est pourquoi il est du devoir de toute voix libre d’affirmer clairement : l’échec répété n’est pas une fatalité, mais le résultat de mauvais choix. Il peut être transformé en leçon si nous parvenons à reconstruire notre conscience et à faire de la volonté du peuple la première référence. Ce n’est qu’alors que nous comprendrons que la victoire ne réside pas toujours dans des gains immédiats, mais dans la survie de la cause elle-même, vivante, nourrie par le droit, le sang et la mémoire. La véritable défaite, c’est de se rendre à Israël et de lui accorder, sous couvert de négociations, ce qu’elle n’a pas réussi à obtenir par la guerre.
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)