France-Israël : une alliance qui ne dépend pas du CRIF

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Il ne s’agit pas ici de donner une réponse exhaustive aux raisons de l’alliance entre la France et Israël, mais de proposer des premiers éléments pour en finir avec un raccourci réactionnaire percevant dans le CRIF les éléments explicatifs de la politique française au Proche-Orient. Une vision dépolitisée et réductrice.

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Rencontre entre Emmanuel Macron et Isaac Herzog, président d’Israël, en octobre 2023.

Les logiques d’influence et de lobbying sont réelles. Que le CRIF les exercent pour tenter d’agir sur l’exécutif, c’est indéniable et ce n’est évidemment pas la seule organisation dans l’espace public et le champ politique à le faire. En revanche, l’affirmation selon laquelle le président français ou le gouvernement seraient « sous la tutelle/la dépendance », revient à considérer que leur politique proche-orientale serait déterminée en fonction du CRIF, et donc que la politique menée par la France n’aurait pas sa propre logique et ses propres raisons de maintenir ses relations avec Israel ou de ne pas sanctionner un Etat coupable de génocide.

Macron ou Barrot refusent, jusqu’à présent, de sanctionner Israël, non pas parce qu’ils seraient dépendants du CRIF, mais parce que ce sont des occidentalistes, héritiers d’une tradition coloniale française qui voit en Israel un allié pour ses intérêts impérialistes dans la région. Et c’est assurément le cas de bon nombre de hauts fonctionnaires ou diplomates français, pour qui les trajectoires sociales, parcours scolaires ou carrières professionnelles, répondent à celle d’une bourgeoisie ayant été très tôt travaillée par l’influence de courants atlantistes et néo-conservateurs, de sentiments arabo-islamophobes et occidentalistes.

Cette alliance privilégiée entre la France et Israel a été façonnée sous la IVe République et depuis, aucun président ne s’est osé à prendre la responsabilité d’une remise en question, indépendamment du rôle du CRIF. À maintes reprises et dans différents contextes, cette position m’a été martelée par des officiels : « On ne sanctionne pas un allié ».

Quand Hollande déclare son chant d’amour à Israel et ses dirigeants, en 2013, face à un Netanyahou tout sourire, il n’agit pas pour le compte du CRIF, mais croit s’inscrire dans la suite de la SFIO sous la IVe République. La logique d’un lobby n’est pas de mettre sous tutelle ou dépendance, mais de favoriser l’alignement sur des positions attendues. Pour les responsables politiques qui y sont invités, participer au dîner du CRIF permet de marquer cet alignement et de le visibiliser.

Sur le temps, le sentiment qu’Israel serait un allié privilégié a pu se pérenniser et se réactualiser au gré des évolutions politiques propres à certains milieux sociaux (« guerre contre le terrorisme », « choc des civilisations »…), mais aussi de logiques de lobbys (voyage, séminaire, campagne de communication régulière…) dont certaines organisations en ont fait leur principale activité (type Elnet). D’autres courants, principalement situés à gauche, ont à l’inverse, plus ou moins rapidement en fonction des tendances, soutenu la rupture avec un État dont la politique coloniale et d’apartheid devenait explicite.

Dès lors, rien d’étonnant à ce que la politique française, dont l’exécutif ne cesse de se (extrême-) droitiser, continue de s’aligner sur un État qui s’est extrême-droitisé, et se trouve régulièrement alignée avec les positionnements du CRIF, organisation qui s’est elle-même (extrême) droitisée et dont le rôle diffère assez peu de celui d’une ambassade israélienne bis.

Car c’est ici que le CRIF joue un rôle, dans l’importation d’un conflit qu’il prétend vouloir empêcher : en alimentant la logique sioniste et mortifère d’un lien indéfectible entre Israel et l’ensemble des Juifs de par le monde, la défense d’Israel se mélange à celle de tous les Juifs, et la rupture politique avec Israel s’amalgame à une offensive contre l’ensemble des Juifs. Ainsi, critique de la politique israélienne et solidarité avec les Palestiniens deviennent suspects, tandis que les organisations juives antisionistes sont diabolisées.

Or, si tout était une question de « CRIF », à titre d’exemple, la France aurait déménagé depuis longtemps son ambassade à Jérusalem, aucune reconnaissance de l’État de Palestine ne serait annoncée, le contenu du rapport français déposé auprès de la CIJ en juillet 2024 concernant l’occupation des Territoires palestiniens serait bien différent, etc…

Ces éléments ne montrent aucunement une position française qui évoluerait positivement vers la Palestine (en l’absence de sanctions), ou un quelconque équilibre : juste la recherche, du point de vue de l’exécutif, du meilleur positionnement pour garantir les intérêts (notamment économiques) et diplomatiques (notamment sur le Liban) français dans la région, sans aucun égard pour les enjeux relatifs aux droits humains. Ces intérêts convergent souvent avec les attentes du CRIF, pour les raisons invoquées ici, parfois ils différent.

Pour aller plus loin, voici quelques ressources : 

Sopie Bessis, La civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture, Les liens qui libèrent, 2025.

Charles Enderlin, Les Juifs de France entre République et sionisme, Seuil, 2020.

Samuel Ghiles-Meilac, Le CRIF, de la résistance juive à la tentation du lobby, Robert Laffon, 2011.

Alain Gresh et Hélène Adleger, Un chant d’amour, Israël-Palestine : une histoire française, 2017.

Vincent Nouzille, Histoires secrètes : France-Israël (1948-2018), Les liens qui libèrent, 2018.

Jean Stern, « France-Israël. Lobby or not lobby ? », Orient XXI (série à lire en ligne).

Dominique Vidal, Antisionisme ≠ Antisémitisme : réponse à Emmanuel Macron, Libertalia, 2018.

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