Le 30 | Marianne Hirsch| Michael Rothberg| Taner Akçam | The Guardian | Traduction J.Ch. pour l’AURDIP
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En quelques semaines, 450 collègues ont rejoint notre organisation. Nous disons : Il n’est pas trop tard pour sauver des vies. Mettez fin au génocide maintenant.

Le monde est resté inerte alors qu’Israël assassinait à Gaza des dizaines de milliers de Palestiniens, en blessait plus du double, en ensevelissait innombrablement plus sous les décombres et dévastait les infrastructures civiles. Les survivants du territoire, déplacés encore et encore par l’armée israélienne, sont dans un état de famine imposée et d’extrême précarité. Malgré l’interdit imposé par Israël aux journalistes internationaux, témoins et victimes diffusent en direct des images et des vidéos insupportables d’enfants et d’adultes émaciés tués par balles alors qu’ils cherchent désespérément de l’aide. Les responsables israéliens ont proposé la construction de ce qui serait des camps de concentration et la déportation des Palestiniens survivants.
Motivés par notre profond engagement universitaire et éthique sur la violence politique et l’atrocité de masse, dont le génocide Nazi du peuple juif, nous avons participé à la création en avril du Réseau de Crise des Études sur le Génocide et l’Holocauste. Plus de 400 spécialistes du génocide et de l’Holocauste de plus de deux dizaines de pays nous ont rejoints à quelques semaines de son lancement. La croissance rapide de l’association témoigne de l’urgence du moment. Aujourd’hui, parallèlement à des centaines d’organisations humanitaires, à des dizaines de gouvernements et à des millions d’étudiants et de citoyens qui manifestent à travers le monde, nous appelons à des mesures concrètes immédiates pour empêcher d’autres crimes atroces et pour protéger les civils.
Depuis le massacre du 7 octobre, les responsables israéliens et leurs complices ont justifié la violence génocidaire contre les Palestiniens en mettant sur le même plan le Hamas et le Nazisme, instrumentalisant la mémoire de l’Holocauste pour faire progresser, plutôt que de l’empêcher, la violence massive. Et cependant, de trop nombreux gouvernements soutiennent matériellement le génocide à Gaza, tout en faisant taire les manifestants. Même alors que le ton de certaines déclarations officielles est devenu plus critique envers Israël ces dernières semaines, de nombreux États continuent de fournir à Israël des armes létales, de protéger les dirigeants israéliens face aux mandats d’arrêt internationaux et d’investir dans l’économie de guerre israélienne. La pression internationale peut fonctionner, mais il faut qu’elle soit plus forte.
L’urgence est devant nous. Et cependant, d’éminents érudits de l’Holocauste continuent de s’engager dans un déni ouvert ou une approbation sans réserves des atrocités massives perpétrées par Israël. Des associations savantes, des universités et des institutions dédiées à la recherche, l’éducation et la commémoration de l’Holocauste, non seulement gardent le silence face à l’agression génocidaire d’Israël sur Gaza, mais fournissent une couverture idéologique aux violations flagrantes du droit international par Israël. Des institutions telles que Yad Vashem et le Musée Commémoratif de l’Holocauste des États-Unis adhèrent à une « exception palestinienne » lorsqu’il s’agit de lutter contre le génocide et les atrocités massives. En même temps, des organisations vouées à la lutte contre les préjugés, telles que la Ligue Anti-Diffamation, utilisent des accusations d’antisémitisme fallacieuses pour réduire au silence ou discréditer ceux qui osent s’exprimer ouvertement.
Nous sommes déterminés à défier cette capitulation morale et politique.
Si nous avons créé le Réseau de Crise des Études sur le Génocide et l’Holocauste, ce n’est que pour cela. Nous nous engageons à soutenir les Palestiniens alors qu’ils exercent leurs droits à l’éducation et à l’héritage culturel face à la destruction massive de leurs écoles, de leurs archives et de leurs sites mémoriels. Nous nous engageons à faire pression sur nos institutions pour qu’elles affrontent les contradictions entre leur engagement déclaré au « plus jamais ça » et leur silence ou leur complicité face à Gaza. Au vu de la violence génocidaire continue et au retour de régimes autoritaires, nous fournirons de nouvelles ressources et de nouveaux programmes afin d’enseigner le passé avec rigueur dans le contexte de notre présent toujours plus vulnérable. Nous offrirons solidarité et soutien à nos étudiants et collègues qui courent de graves risques personnels et professionnels pour s’être exprimés ouvertement.
Nous contestons la « conspiration généralisée du désespoir » et la normalisation de la violence et de la famine massives à Gaza. L’histoire nous a appris que les États ont de nombreux moyens pour agir en réponse aux crimes contre l’humanité. Nous exhortons tous les États qui ont signé la Convention sur la Prévention et la Punition du Crime de Génocide à s’acquitter de leurs responsabilités selon le droit international : exiger et faire respecter un cessez-le-feu permanent, un embargo sur les armes, le retrait immédiat des troupes israéliennes de la Bande de Gaza, la distribution sans entrave de l’aide humanitaire, et l’égalité et l’autodétermination pour tous les Palestiniens.
En tant que membres du Réseau de Crise des Études sur le Génocide et l’Holocauste, nous disons : Il n’est pas trop tard pour sauver des vies. Mettez fin au génocide maintenant.
*Taner Akçam, Marianne Hirsh et Michael Rothberg sont membres fondateurs du Réseau de Crise des Études sur le Génocide et l’Holocauste