Entretien avec Willy Beauvallet : d’une polémique d’extrême-droite à une affaire d’État

WillyB Entretien avec Willy Beauvallet : d’une polémique d’extrême-droite à une affaire d’État

Article publié par Agence Média Palestine

L’Agence Média Palestine s’est entretenue avec Willy Beauvallet, maître de conférences et vice-président démissionnaire de l’Université Lumière Lyon 2, poste qu’il a été contraint de quitter en raison d’une campagne de doxing et de harcèlement médiatique diabolisant ses positions relatives à la Palestine.

« Tout a commencé dans le cadre d’une tempête médiatique qui a touché l’Université Lyon 2, montée en épingle par quelques personnes et médias réactionnaires », raconte Willy Beauvallet, que nous interrogeons alors qu’il vient de déposer une plainte pour diffamation suite à la campagne de harcèlement dont il a été l’objet. Des attaques publiques particulièrement agressives, l’accusant « d’entrisme », « d’islamisme » et même de « soutien au terrorisme », basées sur ses prises de positions personnelles relatives à la situation en Palestine et au Liban l’on contraint en mai dernier à démissionner de son poste de vice-président de l’université.

Pression médiatique et politique

« Au départ, ça n’avait pas de lien avec la Palestine. Une véritable tempête médiatique s’est levée en conséquence d’événements suscités par un collectif d’étudiants. Courant février, un mouvement a émergé dans de nombreuses universités pour dénoncer des coupes budgétaires, et Lyon 2 était particulièrement concerné. Un petit groupe d’étudiants autonomes ont occupé une salle du campus Porte des Alpes autour de ces thématiques, et ont obtenu que cette salle leur soit laissée à disposition, ce qui est assez fréquent dans ce contexte, pour organiser des débats, des actions, etc. On parle d’une quinzaine de personnes. »

« Cela a duré environ trois semaines sans problème particulier, jusqu’au moment où les étudiants ont entrepris, en réaction au débat qui animait à ce moment-là l’actualité sur l’interdiction du port du foulard dans le sport, d’organiser un repas collectif de rupture du jeûne dans cette salle. Cela a créé un début de polémique qui a rapidement enflammé les réseaux sociaux, en partie car la présidence de l’université s’opposait à cet événement, invoquant la neutralité des espaces publics universitaires, ce que les étudiants ont qualifié d’islamophobe. La présidence a décidé de retirer l’usage de la salle au groupe, qui a alors bloqué le campus pendant une journée. »

« Les choses s’enchainent assez vite ensuite : le lendemain, un enseignant de Lyon 2 prend la parole dans les médias et présente cet épisode comme ‘le premier blocage islamiste d’une université en France’. La semaine suivante, des personnes masquées perturbent le cours de cet enseignant, dénonçant ses propos réactionnaires. L’enseignant prend par la suite la parole sur les réseaux sociaux et les médias, gonflant rapidement une bulle médiatique qui viendra présenter l’université comme une antre de l’islamogauchisme ou d’islamowokisme. Cela va si loin que des personnalités politiques réagiront à cette polémique, la ministre de l’éducation d’abord jusqu’au premier ministre François Bayrou, qui depuis Nice dénonce la ‘pression communautariste’ qui pèserait sur Lyon 2. »

« Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est l’immense décalage entre la perception politico-médiatique et la réalité. Il n’y a pas de pression religieuse ou communautariste, d’aucune sorte, à Lyon 2 : ça n’existe simplement pas. L’événement a été détourné, et amplifié : on passe du cas isolé de 15 étudiants manifestant contre ce qu’ils considèrent comme du racisme, à une affaire d’État qui présente les universités comme des bastions islamistes. »

D’une polémique d’extrême-droite à une affaire d’État

C’est dans cette tempête médiatique qu’est pris à partie un première fois Willy Beauvallet, maître de conférences en Science politique à l’université Lyon 2, dont il est également le vice-président en charge des ressources humaines et des questions budgétaires. Le compte « Sword of Solomon », à l’origine de nombreuses campagnes de cyber-harcèlement ciblant des militants pro-palestiniens, entreprend une campagne de doxing à l’encontre de Willy Beauvallet, dont les positions privées sont exhibées et présentées comme problématiques. Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue dont les théories ont été dénoncées comme complotistes et islamophobes, relaie rapidement ce contenu infamant. 

Outre le caractère privé des éléments qui sont exposés, l’équation « pro-palestine = pro-hezbollah = pro-islamiste » démontre bien la logique réactionnaire au cœur de ces accusations : des publications privées de vacances au Liban, de participation à des manifestations en solidarité avec la Palestine, une photographie aux côtés de Yasser Arafat, rencontré lors d’une mission civile avec la Ligue des Droits de l’Homme, sont exposées comme autant de preuves d’une « gangrène islamiste » qui aurait infiltré les universités.

« Au départ, la polémique reste relativement cantonnée aux médias d’extrême-droite, de BFM-TV à Pascal Praud, disons, les médias Bolloré », explique Willy Beauvallet. « Les universités de sciences humaines et sociales, et en particulier Lyon 2, sont présentées comme des lieux sous emprise ‘islamogauchiste’ ou ‘islamowokiste’. La polémique vient rejoindre une théorie complotiste qui voudrait que les Frères musulmans aient infiltré les directions d’université et d’autres espaces. C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé Caroline Fourest sur LCI en me désignant indirectement. Tout cela se mélange de manière très confuse, bien entendu, avec des arguments souvent contradictoires. L’attention médiatique se détourne d’ailleurs rapidement à ce moment-là, pour cibler la présidente de l’université elle-même, prenant des proportions telles qu’elle est amenée à être placée sous protection policière. »

« C’est à la fin du mois d’avril qu’une deuxième vague, plus forte et plus violente, me touche, par la publicisation d’un autre post facebook privé. Il s’agissait d’une réaction à l’assassinat par Israël d’Hassan Nasrallah : c’était un post qui rendait hommage à l’œuvre politique de cet homme, en particulier dans l’attention qu’il portait à la concorde inter-confessionelle, mais bien sûr ce n’est pas ce qui sera retenu. Ce post-là arrive sur le bureau du ministre, qui demande au recteur de faire un signalement auprès du procureur de la république sur une possible violation de la loi pour apologie du terrorisme. » 

« Ce post-là prend des proportions telles que j’ai dû démissionner de mes fonctions de vice-président. » Willy Beauvallet rédige alors un courrier qu’il adresse à l’ensemble de ses collègues, où il affirme que « ce choix a pour objet de faire baisser la pression très forte qui pèse sur l’institution et de protéger les intérêts de celle-ci dans le contexte particulièrement difficile qu’elle traverse. (…) Je continuerai aussi de m’engager, avec le cœur et la raison, pour la pleine application du droit international et des droits des humains en Palestine et au Proche-Orient, sur les fondements anti racistes et universalistes qui ont toujours été les miens. »

« Ce courrier est publié sur les réseaux sociaux par le mouvement étudiant de droite l’UNI, qui se vante d’avoir obtenu la tête du vice-président islamiste », raconte Willy Beauvallet. « La polémique est relancée et va une nouvelle fois jusqu’au ministre, qui revient sur le sujet sur RMC en qualifiant mes propos de « très graves » et « relevant potentiellement de l’apologie du terrorisme ». Mon nom tourne partout, la polémique s’enflamme de nouveau, jusqu’à la déclaration par l’ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes de la suppression de financements contractualisés de la Région à l’Université Lyon 2, qui s’élevaient à plus de 18 millions d’euros. »

Empêcher le débat académique

Si elle peut sembler anecdotique, ce n’est pas un hasard si la polémique qui a coûté son poste à Willy Beauvallet l’a visé personnellement. Ce qui a fait basculer l’affaire de la sphère d’extrême-droite aux sphères les plus élevées du gouvernement, ce sont les positions du vice-président en faveur de la Palestine.

« Tout cela est sans doute lié au fait que j’avais pris, depuis un an et demi, avec d’autres collègues et en tant que chercheur, plusieurs initiatives pour tenter d’académiser les débats qui accompagnent la situation en Palestine. On a été confrontés à Lyon 2, comme dans de nombreuses universités, à des blocages de tentatives de prises de parole associée à la situation en Palestine. Plusieurs évènements sur le site lyonnais, pas seulement à Lyon 2, ont accru la pression au printemps 2024. »

« Les étudiant-es exigeaient qu’il se passe quelque chose, mais il était impossible d’en parler puisque les conférences qu’ils tentaient d’organiser avec leurs syndicats étaient interdites par la préfecture. C’est à ce moment que nous avons décidé, avec d’autres enseignants-chercheurs, de se saisir de ce sujet sur un plan académique, pour permettre des discussions. »

Le maître de conférences participe alors à mettre en place deux dispositifs qui, s’ils sont relativement bien accueilli par le milieu universitaire, l’exposent publiquement. Le premier est un séminaire intitulé « Que nous enseigne la Palestine ?« , mis en place en mars 2024, qui met les études palestiniennes et les chercheurs palestiniens au cœur de la réflexion. Le second est le « collectif Palestine Lyon Universités Solidaires (PLUS) », qui rassemble des universitaires de tout le site lyonnais afin de partager des connaissances liées à l’histoire de la Palestine mais aussi de les mettre en réseau dans le cadre d’actions de solidarité avec les universitaires, les étudiants et les institutions palestiniennes. »

« Ces espaces académiques n’ont pas subi de pression comme cela a pu être le cas pour des événements militants : ils sont difficilement attaquables puisque les chercheurs y interviennent en tant que tels et que leur autonomie est garantie. Mais cela m’a publiquement exposé. Dès lors que cette polémique a enflé, je me suis retrouvé accusé de faire de l’entrisme et l’on m’a de fait présenté comme utilisant mes fonctions pour l’instauration d’un califat. »

« Ces déclarations portent gravement atteinte à mon honneur et à ma réputation, et à la réputation de mon établissement, et c’est pour cela que j’ai déposé plainte à l’encontre de Florence Bergeaud-Blackler et du compte Sword of Solomon. Si je suis critique des intentions que ces personnes prêtent aux Frères musulmans, je n’ai jamais été lié à cette organisation ni à aucune autre d’ailleurs. J’ai par ailleurs toujours été engagé dans la lutte contre l’islamophobie. On peut être en désaccord avec mes positions, mais je n’accepte pas le mensonge. » 

« Si j’ai décidé de porter plainte, c’est parce que ces comptes attaquent de manière régulière mes collègues, toutes les personnes qui travaillent sur ces thématiques sont exposées. Nous avons un intérêt collectif à réagir pour protéger nos libertés académiques, notre honneur, notre réputation. Avec le collectif PLUS, nous faisons en sorte que cette action en justice soit une démarche collective. Une cagnotte solidaire a d’ailleurs été lancée pour accompagner la procédure. »

« Nos métiers consistent à élucider le réel, à mettre des mots sur les processus en cours, de domination, de violence, de génocide », ajoute encore Willy Beauvallet. « Il relève de nos obligations professionnelles que de donner à voir et mettre en débat ces processus, en Palestine comme ailleurs. »

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