Intervention prononcée par Richard Wagman lors des « 6 heures pour la Palestine » à Champs-sur-Marne (77) le 25 mai 2025.
« Il est légitime de refuser une guerre qui représente, sur le plan moral, une descente aux abîmes pour notre nation. » Ces mots sont ceux d’un jeune israélien membre d’un nouveau groupe de refuzniks (objecteurs de conscience) qui ne prendront pas des armes pour aller à Gaza. Lancé il y a à peine quelques semaines, le groupe a déjà plus de 300 membres à son actif. Et il bénéficie d’une audience de masse sur des nouveaux médias. Des groupes comme celui-ci poussent comme des champignons dans les lycées, les facs, les quartiers, un peu partout dans le pays.
Jusqu’à maintenant la police a durement réprimé les nombreuses manifestations contre la politique du gouvernement Netanyahou. Mais elle n’a pas osé le faire le 21 mai lorsque des milliers de jeunes se sont rassemblés à Tel-Aviv avec des pancartes sur lesquels on pouvait lire « Mettez fin au massacre » et « Refuser d’être complice du génocide ». Un récent sondage indique que la majorité des Israéliens sont pour l’arrêt de cette guerre et pour la démission de Netanyahou.
Début avril, 1 000 soldats de l’armée de l’air ont signé une pétition contre la guerre, parue dans la presse israélienne. Ce geste a rapidement été suivi par une autre pétition, signée cette fois-ci par 1 500 réservistes des divisions blindées, des officiers de la marine et des militaires affectés à la police des frontières, à la collecte de renseignements et à la cyberguerre. Adressée à Netanyahou, la pétition déplore la mort de « civils innocents », précisant que cette guerre « sert des intérêts politiques et personnels et non des intérêts de sécurité ». À l’heure d’écrire ces lignes, plus de 60 % des réservistes (soit 120 000 soldats) refusent désormais de prendre des armes pour retourner à Gaza. Déjà à la mi-mai, 140 000 Israéliens – militaires et civils – ont publiquement exprimé leur soutien aux initiatives des pétitionnaires et des objecteurs de conscience.
La semaine dernière, compte tenu d’une pénurie de combattants, l’armée israélienne a commencé à recruter des patients souffrant des désordres de stress post-traumatique. Au moins deux d’entre eux ont se sont déjà suicidés. Voilà l’état actuel de l’armée israélienne.
Le service militaire est obligatoire en Israël, pour pour des femmes comme des hommes. Bien que tout refus de porter des armes expose les réfractaires à une peine de prison, il y avait toujours ceux et celles qui refusaient et ceci depuis des décennies. Mais le phénomène est resté plutôt marginal jusqu’au présent génocide à Gaza et les atrocités commises en Cisjordanie occupée. Désormais, il est devenu un mouvement de masse. L’armée se vide de ses effectifs opérationnels. Pourquoi ?
Dès le 7 octobre 2023 le discours officiel voudrait que l’opération militaire à Gaza avait pour objectif de libérer les otages israéliens. Au fur et à mesure du carnage et de la destruction des infrastructures civiles, les Israéliens se sont rendus compte que le sort des otages était le dernier des soucis du gouvernement. Que la guerre sert à la fois les intérêts personnels de Benyamin Netanyahou (qui évite la prison en restant à la tête du pays), elle sert les intérêts de ses ministres d’extrême droite et elle sert le projet de vider Gaza de ses habitants palestiniens. Le sort des otages importe peu à ceux qui sont au pouvoir. Dès lors, l’humeur du public israélien change et la fidélité traditionnelle qu’il démontre envers son armée se délite.
Il ne faut pas être naïf : les réfractaires au service militaire ne sont pas tous des pacifistes, des anticolonialistes, des pro-Palestiniens et encore moins des antisionistes. Mais il avait le sentiment général que l’armée était là pour les protéger. Des pans entiers de la société israélienne voient désormais l’armée comme une source de conflit perpétuel prête à mettre la région à feu et à sang. Pas pour assurer leur sécurité, mais aux dépens de celle-ci. D’où la désertion massive d’une bonne partie de la jeunesse israélienne. Au lendemain du 7 octobre 2023, prononcer les mots « massacre » ou « génocide » en parlant des bombardements à Gaza était vu comme une trahison. Aujourd’hui, quelle que soit son opinion, c’est devenu une banalité que de prononcer ces mots. Le débat fait encore rage mais ces mots font désormais partie du vocabulaire politique quotidien dans l’État hébreu.
Au cours du mois de mai, ici en France, l’Agence Juive pour Israël a tenu des « Salons de l’Alyah » à Paris, Lyon et Marseille. Pourquoi ? La France est le pays qui a la plus grande communauté juive en Europe occidentale. Ces incitations l’immigration vers Israël ne sont pas motivées par l’antisémitisme dans l’Hexagone. C’est un problème réel, mais les autorités israéliennes n’en ont cure. Elles sont motivées par la saignée de la population israélienne vers la Diaspora. Pendant que les soldats quittent l’armée, les Israéliens quittent leur pays. À l’été 2024, un demi-million d’Israéliens ont émigré en Europe, en Amérique et ailleurs. Même si tout le monde n’a pas les moyens de partir, tout le monde y pense. Selon un récent sondage 40 % des Israéliens ont exprimé un désir de partir pour l’étranger. Après la désertion des soldats de l’armée, on assiste à la désertion tout court des Israéliens de leur pays.
Richard Wagman
25/05/25