Abu Amir 1er mai – par téléphone

Conversation retranscrite par Sarah K.

On veut croire qu’il y a encore une probabilité d’avoir une nouvelle pour le cessez-le-feu, mais on baigne dans des flots d’informations contradictoires. Les gens sont très en colère, attendant le cessez-le-feu.

Ce qu’on sait, ce sont les attaques continues de l’Occupation, et son affirmation que, même s’ il y a un cessez-le-feu, de toutes façons ils attaqueront Rafah.

Les destructions sont énormes, mais il y a des mouvements de la population au nord de Nuseirat, le long du wadi Gaza, à l’ouest de Nuseirat, sur toutes les plages à partir de Nuseirat. Le camp de Mawasi va encore s’étendre.

On trouve de nombreux camps montés par des donateurs, des tentes y sont préparées, actuellement vides. Ces camps sont destinés à une population cible exclusive : les employés de telle municipalité, les personnes qui travaillent dans tel ou tel hôpital… Pour les « gens ordinaires », il n’y a rien de prévu.

Près de ma maison, il y a un grand camp de cette sorte. Il y a un poster à l’entrée, « Amitié des Émirats arabes unis ».

J’ai demandé au gardien (gazaoui bien sûr) pour qui serait ce camp, il m’a répondu : pour les employés de la municipalité. Je lui ai demandé qu’il abrite une famille arrivée de Rafah et n’ayant rien, il a dit : impossible. Alors que toutes les tentes sont vides.

Ce sont les institutions qui financent les camps et qui les attribuent à tels ou tels bénéficiaires.

C’est le fonctionnement inverse du nôtre : dans notre camp, on a abrité tous ceux qui venaient de l’école dans laquelle s’était réfugié le grand groupe de familles d’agriculteurs Abu Taïma venant de Khuza’a, même ceux qui étaient là sans être paysans.

Il faut comprendre qu’il est très difficile de se déplacer, par exemple d’aller de Rafah à Deir al-Balah ou Nuseirat. Il faut compter 500 NIS pour emprunter un pick-up permettant de déménager les affaires d’une famille de Rafah à Nuseirat. Et cela se comprend de la part des chauffeurs, c’est dangereux et le gasoil est très cher. La plupart des familles n’ont pas cet argent, elles ne peuvent pas bouger.

Et avant de se mettre en mouvement, tous veulent savoir : au point d’arrivée y a-t-il des sanitaires ? Y a-t-il de l’eau ?

En bref : qui a de l’argent pourra quitter la zone attaquée, mais la grande majorité des gens n’ont pas 1 shekel dans leur poche..

Je dirais 85 % n’ont pas 1 shekel ; 15 % ont un compte approvisionné, mais ne peuvent pas retirer de liquide ; les distributeurs de billets sont sous contrôle d’une mafia, qui exige 500 Nis pour te laisser introduire ta carte dans le distributeur ; quand aux commerçants, c’est 25 % de la somme qu’ils retiennent si tu passes par eux (et ils disent : ‘tu n’es pas content, mais tu devrais l’accepter quand même, car bientôt ce sera 50 % que je demanderais’).

SK : Qui peut réguler la vie commune ?

Pas les municipalités, tous les bâtiments ont été mis par terre. Pour Deir al-Balah, c’était il y a un mois. Les équipes municipales n’ont plus rien, elles ne peuvent pas travailler sur le terrain.

Dans cette jungle, la police du Hamas essaie de travailler sur le terrain, mais parmi eux on trouve ceux qui créent les problèmes, volent la nourriture de l’aide humanitaire et la revendent sur les marchés… Ils ont les armes, pas nous.

SK : La Défense Civile est très active et courageuse, n’est-ce pas ?

J’ai de très bons contacts avec eux ici, ils travaillent magnifiquement, très dur. Mais il leur manque tout le matériel nécessaire.

SK : On ne pourrait pas envisager un corps comme cela pour organiser la vie quotidienne ?

Pour lutter contre les mafias, il faut des armes. C’est tout-à-fait un autre métier.

Quand j’ai quitté ma maison pour me déplacer à Rafah, des jeunes gens sont restés pour la défendre. Ils ont réussi – mais ils avaient des armes.

Il faut prendre la mesure des destructions : je connais Khan Younis comme ma propre main, quand je l’ai parcouru, je ne reconnaissais rien, absolument tout est détruit ; nous avons vu la zone Abu Taima de Khuza’a, c’est entièrement détruit, etc… Il nous faudra 50 ans pour réparer toutes les infrastructures.

Il nous faudra 3 années pour redémarrer un système de scolarisation des enfants. Nos enfants vont perdre toutes ces années, ils seront comme des ânes… Nous avons tant de gens très formés, mais personne ne met en avant la question de la scolarisation. On arrive à parler de la santé, de l’alimentation, c’est urgent… Mais la scolarisation des enfants, c’est encore plus important pour l’avenir.

SK : Tu penses organiser quelque chose sur cette question de la scolarisation dans le camp ?

Alors je pense que c’est indispensable, mais il faut que vous regardiez les possibilités.

Pour l’instant, l’UJFP assure un repas trois jours par semaine, pour les 750 familles qui sont dans le camp ou juste alentour. C’est une énorme somme, quelque chose comme 6 600 NIS par semaine. Et c’est absolument nécessaire, donc j’ai craint, si je promeus un autre projet, que vous ne puissiez plus continuer avec les repas.

Mais si on regarde les besoins du camp, au delà des repas qui doivent être assurés, la situation est claire :

– en premier lieu est le problème de l’eau. Pour le résoudre, on a besoin de 8 panneaux solaires.

– vient immédiatement ensuite la question de la scolarisation. On a les forces pour l’organiser, mais il faudra assurer le matériel et des salaires.

– et juste après, le soutien psychologique. On a une équipe formidable, il faudrait la faire vivre.

On peut d’ailleurs s’appuyer sur cette équipe pour encadrer en partie la scolarisation, cela permettrait de mutualiser les charges de salaire.