(Ma) Dernière Conférence (sur l’islamophobie en France)

4 AVR. 2021 | PAR MARWAN MUHAMMAD | BLOG : LE BLOG DE MARWAN MUHAMMAD

Dans cette conférence, on partage un diagnostic sur la situation en France, en matière de racisme et d’islamophobie, puis on partage des actions possibles à mettre en œuvre, au niveau individuel et collectif. Ceci est le script intégral de la vidéo de la conférence.

Chers frères et sœurs, chers amis,

Bienvenue chez moi, dans mon bureau, pour cette vidéo importante, peut-être la plus importante que j’ai faite, à propos de l’islamophobie en France. J’espère que vous allez bien, durant cette période et que, vous et vos proches, vous tenez bon durant cette période.

Je sais que ce n’est pas la vidéo de buzz habituelle. Je sais que ce n’est pas une intervention rigolote. Je sais qu’il y a 1000 choses plus divertissantes à faire sur internet, mais j’espère sincèrement que vous pourrez libérer une petite heure de votre temps. Pas pour moi, mais pour nous. Pour vos proches, nos proches, pour préserver notre foi, pour l’avenir de nos enfants et, au bout du compte de notre pays.

Ce que l’on traverse est trop important, trop grave et trop dangereux pour qu’on fasse comme si de rien était et qu’on regarde ailleurs. Et pourtant je le comprends : parfois, face aux injustices, face aux épreuves, face à des murs d’incompréhension, on a juste envie de débrancher, de se déconnecter. Mais ce n’est pas parce qu’on ne regarde plus une réalité qu’elle n’existe plus. Et ce n’est pas parce qu’on élude un problème qu’il disparaît de lui-même.

Donc c’est tout le sens de cette conférence : si comme moi vous êtes conscients qu’il y a un problème avec la manière dont les musulmans sont traités en France, si vous pensez que ce pays vaut mieux que ce qu’il montre, si vous souhaitez savoir comment on peut agir, au niveau individuel comme collectif, pour que les choses changent dans le bon sens, alors cette vidéo est faite pour vous.

Pour ceux d’entre nous qui sont sourds ou malentendants, vous pourrez retrouver le script intégral de cette vidéo, ainsi que l’ensemble des références de mon propos. On fera d’abord un bilan des 10 dernières années dans la lutte contre l’islamophobie, ainsi qu’un diagnostic de la situation. Ensuite, on verra quels sont les leviers d’action pour changer les choses, au niveau individuel. Enfin, on verra comment, au niveau des associations et des structures nationales, il est possible d’agir pour que la génération de nos enfants puisse vivre autrement, librement, sans avoir à subir les injonctions racistes qui les visent aujourd’hui.

Qui que vous soyez,  quelle que soit votre religion, votre origine, votre classe sociale ou votre nationalité, vous êtes les bienvenus dans cette lutte, même si bien sûr vous comprendrez que je m’adresse en premier lieu à mes frères et sœurs en islam, celles et ceux qui partagent cette foi, cette espérance, cette magnifique religion et qui, pour avoir fait ce choix, sont traités comme des citoyens d’une classe différente, font l’objet de mesures spécifiques, sont visés par des discours racistes à longueur d’année, de la part de groupes politiques et d’élite qui ont tout à gagner de l’oppression des musulmans, des Noirs, des Arabes, des Rroms, des quartiers populaires ou de minorités construites et jugées « dangereuses ». 

Vous aurez remarqué que cette intervention s’appelle « ma, dernière conférence sur l’islamophobie en France ». Et elle l’est : après 10 ans d’engagement et de travail principalement dédiés à ce sujet, après des centaines d’interventions et de prise de parole sur ce sujet, après avoir mis tout mon temps, toute mon énergie et mes modestes compétences au service de cette cause, je pense qu’il est temps de passer à une autre séquence. Et ce pour deux raisons : l’une est personnelle, l’autre est stratégique.

La raison personnelle est simple : après 10 ans sur ce sujet, il me faut passer à autre chose. J’ai mis en suspens des projets personnels et familiaux, des questions qui me tiennent tout autant à cœur comme l’éducation, l’économie, l’entrepreneuriat ou les contenus créatifs, pour me concentrer sur ce qui me semblait être l’urgence du moment : l’islamophobie, cette forme de racisme qui vise nos concitoyens en raison de leur appartenance religieuse. J’ai dit ce que j’avais à dire. J’ai fait ce que je pouvais faire. Et je n’ai ni envie d’occuper un siège, un poste d’où je tirerais une quelconque reconnaissance, ni envie de devenir un militant amer, satisfait de rien et aigri contre tous, donnant des leçons aux autres sur ce qu’ils auraient dû faire, comme un disque rayé qui répète la même chose. Donc on le verra sur le bilan, il y a eu quelques avancées et il reste beaucoup à faire, mais j’espère avoir à mon humble échelle fait ma petite part pour ce combat.

La raison stratégique est plus importante : il y a une faille dans la manière dont on construit nos mouvements et nos mobilisations. Malgré les expériences du passé, nous continuons à reproduire des schémas où l’on attend trop d’une seule personne ou d’une seule structure. On personnifie des luttes, on idéalise des personnes et quand on se rend compte que ce sont juste des êtres humains, avec leurs défaillances, on remet en question tous nos engagements, comme si au bout du compte notre lutte à tous, la libération de tous, la dignité de tous dépendaient d’une seule personne. Et dans le même temps, ça fait de nos frères et sœurs des cibles (même s’ils peuvent l’encaisser), puisque l’extrême droite et ses alliés objectifs, dans certains partis politiques ou dans certains médias, n’ont plus qu’à cibler leurs attaques sur quelques personnes pour causer du tort à la majorité d’entre nous. Il faut changer d’approche, il faut tuer le leader, pour faire émerger les centaines, les milliers de héros anonymes qui font avancer nos causes communes. Donc j’ai toujours dit qu’aucun d’entre nous ne devait se complaire et rester trop longtemps dans des positions de très forte visibilité ou de très forte responsabilité. Et j’ai essayé de respecter cette règle strictement dans tous mes engagements. En faisant ma part du travail, puis en laissant la place, sitôt mes objectifs atteints, que ce soit à FoulExpress, au CCIF comme à la Plateforme LES Musulmans, sans jamais m’attacher à un poste ou un statut.

C’est pour ça que j’ai passé les 4 dernières années à former d’autres personnes, à partager comme j’ai pu ce que j’avais appris. Qu’il s’agisse des formations d’autodéfense intellectuelle auxquelles vous avez été des milliers à participer, des portes parole associatifs que j’ai eu le plaisir d’accompagner, des groupes de frères et sœurs que j’ai eu l’honneur de conseiller ou du projet #100voix de la Plateforme LES Musulmans, qui fait émerger des personnalités musulmanes dans tous les domaines de la société civile… c’est sur cet axe de transmission que j’ai souhaité me concentrer et c’est justement pour ça que je suis serein quant à la suite.

Ça ne m’empêchera pas de prendre position quand et comme je le juge nécessaire, sur tous les sujets qui m’intéressent. Ça ne m’empêchera pas d’aider là où je peux, ponctuellement. Ça ne m’empêchera pas de poursuivre ce que j’ai commencé, au niveau international. Mais je ne souhaite plus être l’un des visages principaux de la lutte contre l’islamophobie en France. Il y a de nombreuses voix qui souhaitent et qui peuvent parfaitement incarner ce rôle.

Maintenant dressons un bilan de ces 10 dernières années, pour prendre la mesure du chemin parcouru :

En 2010, la lutte contre l’islamophobie ne mobilisait pas les musulmans. Aujourd’hui, elle est l’une des principales causes d’engagement et la priorité de ceux qui se penchent sur le sujet. Ces dernières années, plusieurs des mobilisations que nous avons initiées ou soutenues ont rassemblé des centaines, des milliers voire des dizaines de milliers de personnes. Et ça dépasse le cadre événementiel : il y a de plus en plus de sœurs et de frères qui proposent leur aide bénévole, s’engagent, créent des initiatives, etc.

En 2010, on était encore englués dans les débats sémantiques autour de l’islamophobie. Aujourd’hui, le concept a été largement défini et clarifié. Adopté par de nombreuses instances, nationales et internationales. Et surtout par les premiers concernés : les musulmans eux-mêmes. Bien sûr, il y a encore des racistes pour contester le concept, comme il y a encore des gens qui comptent en anciens francs et d’autres qui croient encore que le PS est un parti de gauche… Ceux-là ne seront jamais satisfaits de nos choix, quel que soit le nom que l’on donne à l’islamophobie, parce qu’en cherchant à nier le mot, ils cherchent en vérité à contester la lutte. Ils se cachent hypocritement derrière un zèle sémantique mal placé, mais ça ne les empêche pas d’inventer des islam-mots à longueur de journée : des islamo-gauchistes aux islamo-braqueurs en passant par l’islamo-complaisance, les débilo-racistes ne sont jamais à court de créativité.

En 2010, on n’avait que quelques décisions de justice en faveur des victimes d’islamophobie et c’était un contentieux qui restait largement à construire. Aujourd’hui, nous avons des dizaines de jurisprudences, qui sont des victoires de la justice, portées par des associations comme le CCIF et au service de ceux qui subissent des discriminations islamophobes. Ces jurisprudences ont permis de résoudre des milliers de dossiers et d’assister des milliers de personnes. C’est cette efficacité juridique qui a notamment fait du CCIF une cible majeure pour les racistes, au point où, incapables de les confronter sur le terrain du droit et des arguments, le gouvernement en est réduit à les dissoudre pour quémander les voix de l’extrême-droite aux élections.

En 2010, la lutte contre l’islamophobie au niveau international était totalement fragmentée. Aujourd’hui, il y a des coalitions d’associations et d’organisations, des objectifs partagés, une présence dans toutes les organisations internationales. Et une réelle prise de conscience dans les médias et l’opinion internationale, où la France est désormais la risée du monde, pour ses manquements en matière de droits humains, inversement proportionnels aux leçons qu’elle prétend donner aux autres pays : notamment aux dictatures qu’elle soutient lâchement en échange de juteux contrats d’armement…

Dans tous les domaines, universitaires, associatifs, médiatiques et économiques, de réels progrès ont été accomplis. On est loin d’avoir résolu la situation, puisqu’on le verra elle est grave, mais néanmoins, il y a eu de réelles avancées. Et c’est le fruit d’un travail collectif, commencé bien avant 2010 :

 Les personnes de tous les jours, les bénévoles, les salariés des associations, les adhérents qui soutiennent et aident, les universitaires ou les journalistes qui font leur part, les duas, les mots d’encouragement, les courriers rédigés, la présence lors des évènements, les personnes qui ont eu le courage de se manifester lorsqu’elles avaient vécu des discriminations… c’est vous les acteurs de ce changement et c’est vous qui au quotidien avez fait avancer ce combat magnifique contre l’islamophobie.

Et quand par dizaines de milliers, vous avez marché contre l’islamophobie, le 10 novembre 2019, il suffisait de voir la panique générale que ça a déclenché dans les rangs des racistes pour comprendre que cette bataille pour la dignité, menée de longue haleine, gagnait du terrain. 

Unis, si différents, marchant ensemble pour une cause commune : celle de la dignité, celle de la justice. Une marche historique qui restera gravée dans nos cœurs et dans les livres.

Mais nous sommes encore loin du compte. Nous avons besoin de mouvements de masse, sensibilisés à ces questions, conscientisés, mobilisés toute l’année, et pas seulement lors des appels lancés par des collectifs. Nous en avons d’autant plus besoin que la situation est plus grave et plus préoccupante que jamais. 

Pour  comprendre ce qu’il se joue là, il faut se rappeler que le racisme (dont l’islamophobie n’est qu’une forme) n’est pas une somme d’actes aléatoires mais un système.

Le système raciste, à travers l’action de ceux qui en bénéficient, s’est bien rendu compte qu’il était en train de perdre des pions :

Sur la question des violences policières, le collectif Urgence notre police assassine, le comité Adama et de nombreux collectifs de familles ou ont visibilisé le sujet au niveau national et international et continuent de mobiliser.

Sur la question des migrants, plus personne ne peut nier le traitement abject et inhumain des réfugiés et des jeunes migrants, quand on voit la police française déchirer leurs tentes à coups de couteaux et jeter des gens dans la rue en pleine nuit.

Et sur la question de l’islamophobie, plus une semaine ne passe sans qu’émerge une nouvelle polémique, révélant la continuité idéologique entre l’extrême droite explicite et ses alliés objectifs au sein de toute la mouvance se revendiquant « républicaine ».

Donc il a fallu sévir et la vague d’attentats qui a frappé le pays, a donné les moyens au gouvernement d’aller beaucoup plus loin que la lutte contre le terrorisme, en menant une offensive sans précédent contre les libertés fondamentales et les droits humains.

En visant des associations, en criminalisant des mosquées, en ciblant des universitaires, des journalistes, des personnalités, soit parce qu’elles sont musulmanes, soit parce qu’elles ne reprennent pas à leur compte la rhétorique raciste du gouvernement … Un gouvernement qui a d’ailleurs  révélé son vrai agenda :

En plus de renforcer une politique de stigmatisation et de contrôle des immigrés et des pauvres, ils utilisent tous les moyens de l’État à des fins politiques, quitte à faire  basculer le pays dans une confrontation qui leur permettra d’être ré-élus, même si cela met en danger le pays et détruit des libertés fondamentales.

Il faut bien comprendre une chose : pour rester au pouvoir, ils sont prêts à tout. Absolument tout.

Donc quand Marlène Schiappa raconte n’importe quoi à longueur de journée. Quand Gérald Darmanin fait la course avec Marine le Pen à qui dira la pire énormité visant les musulmans. Quand Jean Michel Blanquer fait la chasse aux écoles et aux familles musulmanes. Quand Frédérique Vidal vise les universitaires en reprenant les termes de l’extrême-droite. Quand le président lui-même ordonne la dissolution d’associations musulmanes et déclare que le foulard des femmes qui le portent est « contraire à la civilité » du pays, ce n’est pas un dérapage… c’est une stratégie politique, à la fois historique et contemporaine, pleinement consentie et pleinement choisie.

Il faut arrêter de voir ça comme des « dérapages », ce ne sont pas des accidents mais une action politique avec un objectif clair : légitimer la répression contre une partie de la population, tenter de la maintenir au bas de l’échelle sociale, détruire toute forme d’autonomie des associations antiracistes et/ou musulmanes et prendre le contrôle financier, théologique et idéologique de toute structure travaillant auprès des musulmans.

Pourquoi ? Pour une raison simple : le système raciste ne supporte pas la contestation, la remise en cause, l’idée que des pensées et mouvements  se recomposent et se développent hors de son contrôle. Il ne supporte pas les têtes qui dépassent.

Bien sûr qu’il a besoin de montrer quelques arabes et quelques noirs dans des postes symboliques. Quelques artistes, quelques sportifs, quelques entrepreneurs, qui peuvent être totalement intègres et sincères par ailleurs, mais dont la seule fonction est de donner à voir ce qu’on appelle « la diversité », sans jamais faire bouger les lignes. Ils peuvent évoluer en paix tant qu’ils se taisent.

Mais il suffit que ces personnes parlent de violences policières, d’islamophobie, de privilèges des élites, des zones sombres de notre politique internationale…pour qu’instantanément, elles soient mises à l’écart et accusées d’ingratitude.

En d’autres termes, la diversité raciale au sein des élites françaises est tolérée voire même encouragée, tant qu’elle est cosmétique et qu’elle permet la stabilité socio-économique du groupe majoritaire.

Mais si par contre des personnes issues des minorités se présentent pour des postes importants sans chercher à masquer leurs convictions, si des associations émergent comme des acteurs majeurs de la lutte pour les droits fondamentaux, si au bout du compte « ces gens » se comportent comme ce qu’ils sont : des citoyens de plein droit, avec leurs aspirations, leur parcours et parfois leur foi… là, ça pose problème.

Assa Traoré peut être l’une des femmes les plus dignes du monde. Saluée partout dans le monde pour son courage, son combat pour la vérité et contre les violences policières. Ce courage ne lui est d’aucune utilité auprès de ceux qui bénéficient de l’impunité des crimes policiers.

Karim Benzema peut être le meilleur attaquant du monde à l’heure actuelle. Ça ne lui est d’aucune utilité auprès des élites du football français, qui lui reprocheront des choses qui n’ont rien à voir avec le football ou qui céderont à l’injonction d’une partie raciste du public pour lui refuser l’accès à l’équipe de France.

Sihame Assbague peut être l’une des meilleures journalistes françaises, toujours en pointe sur les sujets qu’elle traite, avec un devoir d’intégrité hors pair dans tout ce qu’elle fait. Ça ne lui est d’aucune utilité, auprès de rédacteurs en chef qui font souvent partie des mêmes cercles sociologiques et qui sont plus inquiets de ce que diront les racistes que pressés de recruter la personne la plus compétente dans ce qu’elle fait.

Rokhaya Diallo peut être l’une des plus grandes défenseuses des droits humains, reconnue dans toutes les organisations internationales pour la constance de son travail et la portée de sa voix. Ça ne lui est d’aucune utilité dans son propre pays et, là où n’importe quel gouvernement aurait été reconnaissant de l’avoir pour ministre dans une action de progrès, elle doit chaque jour faire face à des insultes et des menaces racistes par centaines.

Pourquoi ?

Parce que l’accès à ces espaces de pouvoir est conditionné  au niveau de docilité politique que l’on démontre.

Et c’est parce que, par foi et par espérance, par souci de justice et d’équité, les citoyens de confession musulmane ne sont pas des sujets dociles, parce que la mémoire de leurs parents, le message de leur foi, les valeurs de leur croyance convoquent chez eux un sens de la dignité… c’est aussi pour ces raisons que l’appartenance musulmane est construite comme un problème.

Sur la forme, elle est construite comme une menace pour des élites stables, ce qui déclenche des réflexes de défense identitaire : la peur du « grand remplacement » ou « l’insécurité culturelle » dont se gargarisent les racistes et néo-républicains.

Sur le fond, elle est identifiée comme une menace pour un système dont les injustices sociales, économiques, éducatives et environnementales sont devenues structurelles.

Donc les perquisitions, les discriminations, les grands discours d’exclusion, les polémiques incessantes autour de l’islam et des musulmans, les diversions quotidiennes qui nous éloignent des autres sujets… sont en vérité les secousses d’un système raciste agonisant, réduit à piétiner l’état de droit et la laïcité pour espérer perdurer, acculé à tomber le masque d’une haine des arabes, des noirs, des musulmans, des roms, des juifs, des asiatiques, des migrants et des réfugiés qui ne se cache même plus.

En tant que minorités, nous ne les intéressons collectivement que quand ils peuvent nous diviser et nous monter les uns contre les autres.

Et nous ne les intéressons individuellement que quand ils peuvent nous utiliser comme un symbole pour invisibiliser et silencier ceux qui nous ressemblent. 

Voilà pour ce qui est du diagnostic.

Par conséquent, que faire, quand on s’attaque désormais à l’essence même de notre liberté ? Comment réagir face à la plus grande offensive contre nos droits les plus fondamentaux ? Comment protéger l’intégrité de notre foi et l’avenir de nos familles, de nos enfants ? Comment défendre notre droit d’être des citoyens musulmans, sans rien céder, ni en tant que citoyens, ni en tant que croyants ?

D’abord avec beaucoup de calme.

Ça parait simple à dire, je sais, mais c’est cette prise de distance et d’un minimum de recul qui fait la différence, en nous permettant de passer du statut d’objets médiatiques construits par d’autres, condamnés à être dans la réaction perpétuelle à ce que d’autres disent, à ce que d’autres font… vers un statut de sujets politiques, capables de penser par nous-mêmes, de définir un objectif et un plan par nous-mêmes, sans nous laisser dicter par qui que ce soit, ni les conditions d’acceptabilité de notre présence dans le pays où nous vivons, ni les mots pour décrire nos vies, nos expériences et nos espérances.

Dans une période de division, de destruction du lien commun, de surenchère des polémiques et de fuite en avant d’un pouvoir acculé au pire, être calme et reprendre le contrôle de nos mots, de nos actions et de nos vies est, en soi, un acte de libération.

Nous sommes pour nous-mêmes. Sans avoir besoin de la permission de qui que ce soit pour être et faire ce que nous souhaitons, ce à quoi nous aspirons, ce que nous espérons. Et nous n’avons pas attendu l’approbation de qui que ce soit pour concevoir notre dignité, célébrer la beauté de nos frères et sœurs, hériter du courage de nos aînés, respecter la grandeur de notre foi.

Ensuite, il s’agit de prendre conscience d’une chose simple et d’élargir notre regard :

Si nous sommes personnellement et profondément affectés par l’islamophobie comme forme de racisme qui s’attaque à notre appartenance religieuse, il faut être bien conscients du fait que nombre de nos concitoyens, eux-aussi, vivent des injustices.

Que dire à ceux de nos concitoyens qui vivent dans la précarité la plus totale ?

Que dire à ceux de nos concitoyens qui, agriculteurs ou artisans, ne peuvent plus vivre de leur travail ?

Que dire à ceux de nos concitoyens, soignants ou enseignants, qui ont dédié leur vie à soigner et éduquer les autres et qui aujourd’hui sont laissés à eux-mêmes, sans moyens et sans soutien, chargés de tenir à bout de bras un système de santé et d’éducation totalement précarisés ?

Que dire à ceux qui vivent le mal logement ? Que dire à ceux qui ont perdu un proche durant ce drame sanitaire que nous traversons tous ensemble ? Que dire à celles qui ont subi des violences sexuelles et qui, après avoir eu le courage de s’exprimer, voient nommé au ministère chargé d’arrêter leurs agresseurs, un homme lui-même mis en cause pour viol ?

Que dire à toutes celles et ceux qui, dans notre France abîmée de 2021, vivent eux aussi des injustices, sinon les assurer de notre soutien et leur tendre la main fraternelle que nous leur devons ?

Ce travail de conscience, loin de minimiser la gravité de l’islamophobie comme forme organique du racisme, doit permettre de tisser des solidarités et de penser les injustices systémiques dans des formes plus larges, afin de ne renoncer à aucune de ces luttes ni à aucun de ces combats légitimes.

Ensuite, spécifiquement sur la condition des musulmans et la lutte contre l’islamophobie, il y a des actions claires à mener, au niveau individuel et collectif.

Je précise d’abord qu’aucune de ces actions ne sont mutuellement exclusives. Chacun et chacune d’entre vous, en fonction de sa situation et de ses objectifs personnels, peut choisir celles qui lui conviennent le mieux. Ou pas. Mais en conscience, que ce soit à titre personnel, en tant que père de famille, en tant que croyant, en tant que citoyen ou en tant que cadre associatif avec quelques années d’expérience, je suis obligé de mettre à votre disposition l’ensemble des options. À vous ensuite de choisir ce qui vous convient le mieux. 

D’abord au niveau individuel et familial :

1)  L’éducation aux droits : chaque famille, chaque personne doit connaître ses droits. Afin de mieux les défendre, pour s’aider soi-même comme pour aider les autres. Le simple fait de connaître les lois dans les situations les plus usuelles, ça évite bien des désagréments et ça permet tout de suite de désamorcer des situations. Par exemple, quand on vous refuse l’accès à un lieu ou à un service, savoir demander en vertu de quel texte et savoir qu’aucun règlement ne peut interdire une chose qui n’est pas, par ailleurs, interdite par la loi. Dans un autre contexte, toujours demander une notification par écrit d’une mesure ou d’une position qui vous semble abusive. Cela vous permettra, si c’est illégal, de démontrer la réalité des faits et d’agir juridiquement et efficacement.

2)    L’éducation à la parole : vous l’aurez remarqué, dans une conversation, entre celui qui a raison sur le fond et celui qui s’exprime mieux sur la forme, c’est toujours celui qui s’exprime le mieux qui gagne. Dans les faits, il faut avoir raison sur le fond comme sur la forme. La première pour une raison éthique. La seconde pour une raison tactique. Maîtriser sa parole et ses mots, c’est être capable de se défendre sans jamais perdre son calme et se donner les meilleures chances de convaincre, avec humour, empathie et sincérité. Donc à mon sens, ça doit faire partie de toute éducation. C’est une compétence qui est très utile, quel que soit le domaine et, dans une société où la communication est centrale, ça vous facilitera tout votre parcours.

3)  L’apprentissage des langues : ça peut paraître « secondaire » pour certains, mais je le dis clairement, c’est important pour au moins deux raisons (en plus de tous les avantages classiques du plurilinguisme) : pour celles et ceux qui font face à des discriminations dans l’accès au travail, la maîtrise d’autres langues, notamment l’anglais, est un atout clair. Même avec un gros à priori, si une grande entreprise cherche quelqu’un de compétent, les recruteurs pourront dépasser leur stéréotype s’ils ont en face d’eux un candidat qui fait vraiment la différence, du point de vue des compétences comme des langues. A titre personnel, c’est la maîtrise de l’anglais qui m’a permis de transformer l’essai à chaque fois, même quand il y avait des blocages. Par ailleurs, beaucoup d’entre vous m’interrogent sur la pertinence de quitter la France. J’y reviendrai plus tard, mais quel que soit votre choix, si vous envisagez une expérience ou un départ dans un autre pays, maîtriser l’anglais, l’arabe, l’espagnol ou d’autres langues, vous facilitera les choses, quel que soit votre registre professionnel. Dans le cas de la langue arabe, ça aura également le bénéfice de vous donner accès à des sources religieuses, au-delà de ce qui est disponible uniquement en langue française. Il y a la dimension utilitariste donc, mais il y aussi une dimension purement culturelle et humaine. Le papa que je suis ne peut que vous encourager à apprendre la langue de vos parents, de vos ancêtres, à vos enfants. C’est un lien primordial avec leur histoire, avec l’Histoire. C’est un magnifique cadeau à offrir en héritage, de génération en génération.

4)  L’expérience et la connaissance des autres pays : avant, j’étais plutôt sur une ligne « non, il faut pas quitter la France, il faut s’investir et changer les choses, d’autant plus que tout le monde n’a pas le luxe de partir ailleurs. De toute façon, il y a d’autres épreuves et d’autres difficultés dans chaque pays… ». Maintenant je suis sur une ligne d’indifférence : que ce soit pour une expérience de quelques années ou que ce soit pour partir pour de bon, allez là où vous êtes heureux et où vous vous sentez bien, mais veillez à ce que ce soit un choix consenti et bien pesé. A titre personnel, l’expérience à l’international m’a ouvert les yeux sur plein de choses, mais elle est aussi pour beaucoup le révélateur du lien viscéral qu’ils ont avec la France. On a tous un regard critique sur la France, mais j’ai jamais vu autant de gens chercher leur fromage, leurs amis qui parlent français, leurs petites habitudes culturelles que les français qui vivent ailleurs dans le monde… si ça c’est pas du communautarisme.

Plus sérieusement, il y a de légitimes raisons de s’inquiéter pour les générations futures et si, psychologiquement et personnellement, vous sentez que c’est vraiment mieux pour vous d’explorer un autre endroit, je respecte parfaitement votre choix et je le comprends. Juste, soyez bien conscients que tout le monde n’a pas cette possibilité et préparez bien votre évolution.

5)   La compréhension fine de l’islamophobie en particulier et du racisme en général : si vous voulez vraiment contribuer à cette lutte, au-delà de votre travail au quotidien, il faut vraiment bien comprendre le sujet. Pour cela, lisez des livres qui analysent finement l’islamophobie, qui la replacent dans l’Histoire de France, qui décryptent la question raciale, lisez les rapports des associations et des institutions comme le DDD ou la CNCDH, les travaux universitaires, etc. Si on écrit des livres, c’est justement pour ça, pour équiper le grand public avec des outils d’analyse qui leur permettent de gagner en capacité de compréhension et d’action. Mais ça aussi, c’est un effort nécessaire, qui vous permettra, chacun à votre échelle, de déconstruire des idées racistes ou des mécaniques d’exclusion. Je vous mettrai une liste de lecture dédiée à ça.

6)  L’autonomie financière et professionnelle. Que l’on soit clairs, les questions de racisme s’articulent directement avec les questions de classe. Plus vous aurez les moyens d’être autonomes et d’être à l’aise socio-économiquement, plus vous aurez la possibilité d’activer des moyens complémentaires dans la lutte pour les droits. Ça ne veut pas dire que la « réussite » au sens socio-économique est une fin en soi, mais justement un moyen, pour ceux d’entre nous qui choisissent ce type de parcours. Et ça permet d’aider les autres aussi, en créant des emplois, en lançant des projets où les gens ne sont pas exclus en fonction de leur couleur ou leur religion. Quand les communautés musulmanes de France auront conscience de leur poids économique et opérationnel dans le pays, elles pourront changer la nature des rapports de force dans ces domaines : c’est plus facile de peser sur la politique d’inclusion de toutes les origines et de toutes les religions dans un grand groupe quand on est soi-même à un poste de haute responsabilité ou que l’on est leader du secteur et que l’on montre la voie par l’exemple. Et puisqu’il ne faut pas compter sur l’Etat à court terme pour aider et soutenir les associations qui font du bon travail, il faut que nous soyons collectivement en capacité de financer des projets d’action sociale, culturelle, artistique, environnementale ambitieux, au service de tous, sans dépendre du degré d’approbation politique du moment. Je ne parle même pas du financement des lieux de culte et des emplois liés au tissu associatif musulman, qui doit bien sûr être assumé par les premiers concernés, pour garantir son autonomie, son professionnalisme, sa transparence et son indépendance. Bref, cartonnez dans ce que vous faites, ayez les plus belles ambitions, mais que votre « réussite personnelle » (quoi que ça veuille dire) ne se traduise pas par une indifférence quant aux défis collectifs. Et que les épreuves traversées hier ne nous rendent pas imperméables à celles que d’autres traversent aujourd’hui. La réussite sera collective ou ne sera pas.

7)  Une éducation religieuse solide. L’islam en tant que religion n’est pas en danger. Dieu protège l’intégrité de cette foi, dans son message comme dans ses sources scripturaires. Mais c’est notre foi et notre pratique individuelles qui sont en danger. L’islamophobie a un effet psychologique pervers, un effet de sape, qui au fur et à mesure a un impact sur notre rapport à notre foi. Soit on la construit comme une réaction de défiance, vis-à-vis d’une société majoritaire dont les élites veulent faire de nous un problème. C’est compréhensible, même si comme je l’ai dit tout à l’heure, ce n’est pas la meilleure option. Soit on intériorise le stigmate. Sans s’en rendre compte, on construit un rapport honteux à notre foi, on s’auto-censure, on essaie de gommer nos signes d’appartenance en espérant que ça nous évite des problèmes, au fur et à mesure on transmet ces complexes à nos enfants, on leur demande de ne plus dire bismiLlah ou Allahu akbar en public, « pour pas que ça fasse d’histoire », puis ils grandissent avec cette idée que leur religion doit être invisible, réduite à la plus totale intimité. On nous passe le salaam, on répond « bonjour » devant les collègues, comme si nos amis et nos voisins étaient incapables de comprendre les petites expressions usuelles que l’on attache à notre pratique, alors que la plupart nous comprennent et nous respectent, tant que nous-mêmes on se comprend et on se respecte. C’est vrai pour ces petites choses anodines, mais c’est aussi vrai pour les choses plus profondes, plus intimes, plus spirituelles. Donc construire une solide éducation religieuse est un enjeu majeur et c’est ce qui permettra, à nous comme à nos enfants, de savoir sur quoi il faut être exigeant et sur quoi il faut être conciliant, qu’est-ce qui relève de l’essentiel et qu’est ce qui est facultatif, qu’est-ce qui motive nos gestes du quotidien, afin qu’on les fasse de plus en plus avec du sens, plutôt que par automatisme. Si notre foi mérite qu’on la préserve et qu’on la défende, alors à minima elle mérite qu’on la connaisse et qu’on la comprenne. C’est là qu’on pourra réellement parler de dignité et de fierté d’être musulmans.

8) L’implication citoyenne. C’est peut-être le champ où on a le plus d’incompréhension, alors qu’en vérité c’est simple : on pense que cela se réduit à voter, mais en fait, à chaque fois qu’on fait quelque chose au service du bien commun, c’est une forme d’implication citoyenne. Quand on s’inscrit à l’association des parents d’élèves, quand on fait des distributions de repas, quand on aide nos voisins, quand on prend en charge des personnes âgées, quand on fournit du soutien scolaire, quand on accueille les sans abris, quand on aide autour de nous. Tout ce qui fait du bien à notre quartier, à nos communautés, à notre société fait partie de cela. Qu’on le fasse pour plaire aux gens, qu’on le fasse par inclination personnelle ou qu’on le fasse pour plaire à Dieu. Et les musulmans sont souvent en première ligne de ces différents projets, avec une myriade d’associations, partout en France, qui mènent ce magnifique travail, au service de tous. Le vote n’est qu’une partie de cela, puisque dans un système qui fonctionnerait « normalement », il permettrait de renouveler les classes politiques et de donner mandat à des élus pour changer les choses, dans le bon sens. Sauf que dans les faits, la majorité de nos concitoyens ont rompu avec cette idée, dégoûtés de ce que les hommes politiques en ont fait, en se servant de ces postes pour leur pouvoir personnel, entre mensonges assumés et promesses jamais tenues. 

Bref, tout ça pour dire que la politique et les élections ne sont pas une fin en soi, mais qu’ils peuvent être un moyen de faire passer un message : prendre sa carte d’électeur, c’est un message. Refuser de voter pour le « moins pire », c’est un message. Soutenir des candidats intègres aux élections locales, c’est un message. Refuser le chantage des partis qui se disent « républicains » mais qui ne pensent qu’à sauver leur poste, c’est un message.

Choisissez à votre échelle, l’implication qui vous semble la plus cohérente avec votre foi, vos opinions, vos engagements, mais ne vous laissez pas instrumentaliser ou berner par des promesses qui, comme disait un sage, n’engagent que ceux qui les écoutent.

9)  Faites votre part. Si vous avez retenu la moindre idée du travail des dix dernières années, c’est que chacun et chacune d’entre nous doit faire sa part. Faire sa part, c’est donner de son temps, de ses compétences, de ses talents au service d’une cause. Faire sa part, c’est avoir le courage de s’impliquer, sans avoir peur. Quand on fait quelque chose de juste et de digne, on n’a pas à avoir peur. Et on est ensemble, on se soutient les uns les autres, sur le bon chemin et sur le bon exemple.

En adhérant aux associations qui font du bon travail, vous leur donnez les moyens d’agir et d’accomplir leur mission. Considérez que c’est le devoir de chacun. Et si on ne peut pas donner quelques euros ou quelques heures à une association, si on n’a « pas le temps » ou « pas l’intérêt » d’aider, comment peut-on attendre et espérer le moindre changement ?

Donc j’ai personnellement deux recommandations à vous faire. Et je le fais d’autant plus facilement que je n’ai aucun enjeu ni aucune responsabilité dans l’une comme dans l’autre, à titre personnel :

La première, pour toutes celles et ceux qui soutenaient le CCIF et qui veulent soutenir la lutte contre l’islamophobie, c’est d’adhérer au CCIEurope, qui est une évolution logique. Ils ont besoin de ce soutien pour faire encore mieux, au niveau Européen, afin que cette lutte puisse se poursuivre et se renforcer.

La seconde, c’est la Plateforme L.E.S Musulmans. Sans exagérer, c’est pour moi la structure majeure dont on avait besoin. C’est la première fois qu’on a une structure à nous tous, construite en partant de la base, à partir de la consultation des Musulmans menée en 2018. C’est la première fois que tous les musulmans sont réunis, toutes tendances confondues, au sein d’une structure où ce sont les musulmans qui choisissent eux-mêmes, loin de toute influence politique.

Que l’on soit clairs : la Plateforme LES Musulmans est loin d’être parfaite, mais c’est notre maison à tous. Et comme toutes les grandes constructions, même si elle a des fondations solides, elle a besoin qu’on s’en occupe, qu’on l’améliore au fur et à mesure jusqu’à ce qu’elle devienne cette grande et belle maison familiale où on se sent tous bien.

En moins de 3 ans, la Plateforme a mené la première consultation des musulmans, partout en France, là où jusque-là c’est le pouvoir politique qui choisissait les représentants des musulmans, sans même leur demander leur avis.

Ensuite la plateforme a rassemblé des centaines de mosquées et des centaines d’imams pour travailler ensemble, dépassant leurs différences, juste pour améliorer notre situation.

Ils ont pu lancer un média qui au fur et à mesure se développe, en vous proposant des vidéos, des articles, des débats sur les sujets que vous choisissez.

Pendant le mois de Ramadan, la Plateforme vous a proposé des activités pour les enfants et, dès que les examens arrivent, les équipes ont organisé des systèmes de cours en ligne pour des centaines d’élèves qui en avaient besoin.

C’est la plateforme LES Musulmans qui a co-organisé avec d’autres la grande marche contre l’islamophobie en 2019 et c’est encore la plateforme qui a lancé le projet #100Voix, qui forme actuellement une centaine de personnalités musulmanes, afin de mieux incarner la diversité de notre communauté dans les conférences et les médias.

Sans oublier l’assistance Janaza, qui a été mise en place dès le début de la crise sanitaire pour assister les familles qui ont perdu un proche, tout au long de leurs démarches.

Enfin, la Plateforme a mis en place un pôle juridique et une équipe dédiée composée de professionnels, pour aider les mosquées et les associations à s’organiser et se mettre à niveau, sur tous les plans : ERP, comptabilité, statuts, etc.

Tout ça en même pas 3 ans. Donc le chemin reste long et il y a encore tant à accomplir, mais pour la première fois, c’est nous qui décidons collectivement et c’est nous qui agissons, sans être des spectateurs et sans la moindre pression politique.

Pour réussir, il faut qu’on soit tous mobilisés et tous adhérents. Qu’on participe tous à notre échelle, pour doter la Plateforme des moyens dont elle a besoin !

D’ailleurs à ce propos, je vous lance un challenge : chacun d’entre nous se documente puis trouve 10 personnes de son entourage et leur présente ce travail pour leur proposer d’adhérer. Si on fait ça, on aura tous les moyens nécessaires pour recruter des équipes dans chaque domaine et vraiment prendre les choses en main.

10) Enfin, la dernière action mais peut être l’une des plus importantes : prenez soin de vous. Les luttes et les combats qui comptent le plus se gagnent avec une bonne dose de détermination mais surtout, avec beaucoup d’amour. Pour notre entourage, pour nos proches. De l’amitié, du respect, pour soi comme pour les autres. Si on fait tout ça, c’est par amour pour nos enfants, pour les nôtres, pour les générations futures et, d’une certaine façon, même pour notre pays, sinon on n’essaierait pas de réparer cette France abimée. Il ne faut pas qu’on blesse notre cœur sur ce chemin, sinon on gagnera sur un champ de ruines, aigris par un combat légitime mais destructeur, pour les autres comme pour nous-mêmes.

Donc tout ce qui nous fait du bien, tout ce qui rassérène notre cœur sans éteindre notre conscience, tout ce qui va dans le sens de l’empathie, du lien, de la célébration de qui nous sommes, tout ce qui nous élève personnellement, humainement et spirituellement. Tout cela est beau, tout cela est bon et éminemment nécessaire. Car la pire victoire du racisme, serait de nous faire croire que nous ne sommes plus suffisamment humains pour prendre le temps de l’être. 

Voilà 10 actions simples et importantes qui sont faisables, au niveau individuel et familial. Je vais vous le dire très franchement et sans détour :

Soit on garde collectivement une attitude relativement détachée, en se défaussant et en attendant que d’autres fassent, que d’autres disent et réalisent ce qui relève en vérité d’une responsabilité collective. Auquel cas on pourra se retrouver chaque année pour faire un bilan pire que le précédent.

Soit on développe cet état d’esprit, individuellement et collectivement, qui nous place dans une dynamique d’action, de responsabilité et de changement. Et là, on va voir les choses évoluer dans le bon sens et comprendre de mieux en mieux comment, chacun à notre échelle, on porte une part de ces avancées.

Avant d’aller vers la conclusion, j’aimerais maintenant dire un mot aux associations, aux responsables de mosquées et de structures religieuses. Aux anciens qui ont ouvert la voie et continuent de charbonner, comme aux nouveaux. Sincèrement je vous respecte et je vous admire. Je sais ce que vous essayez de faire, depuis tant d’années, pour améliorer les choses. Je sais comme c’était la galère de collecter l’argent pour la mosquée, d’essayer d’organiser les choses quand on n’a pas grand monde sur qui compter, de rassembler et de consoler tout le monde, quand souvent les divisions et les querelles peuvent miner le travail associatif. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où le levier de pression choisi par le pouvoir politique pour contrôler les musulmans se situe à votre échelle.

Le plan politique est simple :

Pour contrôler les musulmans, il faut contrôler ce que leur disent les imams.

Pour contrôler les imams, il faut contrôler les mosquées.

Et pour contrôler les mosquées, soit il faut contrôler les fédérations (en leur faisant signer une charte de la honte qu’aucun autre culte ne signerait, par exemple), soit les mettre sous pression au niveau des préfectures, soit leur faire miroiter de l’argent, soit les harceler administrativement en leur collant des contrôles fiscaux, des contrôles sanitaires, des contrôles de sécurité, des perquisitions, des contrôles URSSAF… jusqu’à ce qu’ils cèdent.

Cette relation de contrôle, indigne des valeurs communes et contraires au principe juridique de laïcité, n’est pas nouvelle. Elle date de la période coloniale, mais elle met en œuvre de nouveaux moyens et s’affranchit désormais totalement du respect de l’état de droit et de l’autonomie des musulmans.

La tentative de porter atteinte à la mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg n’est qu’une illustration de ces tentatives de déstabilisation et de contrôle idéologique.

Par conséquent, vous avez un choix :

Soit vous acceptez ce traitement. Et il ne faudra pas être surpris quand on vous expliquera ce que vous avez le droit de dire ou non sur le Minbar ; quand on vous dira quel imam vous avez ou non le droit de recruter, quand on vous interdira de parler de la Palestine, des Ouïghours, des Rohingyas ou de l’islamophobie, parce que c’est trop « politique » pour l’extrême droite et ses alliés de circonstance ; quand on vous expliquera que ce n’est pas à la mosquée d’organiser des collectes alimentaires ou des activités éducatives, même si pour les musulmans, la mosquée est tout aussi bien le Masjid (le lieu d’adoration) que le Jamii (le lieu où l’on se retrouve et se rassemble).

Soit vous vous organisez pour vous mettre à niveau, en ayant un rapport de respect, de cordialité, de transparence et de coopération avec les pouvoirs publics, conformément à leur mandat et en bonne intelligence, mais sans accepter la moindre ingérence dans vos choix tactiques, stratégiques, ni dans votre autonomie idéologique et théologique. C’est cette ligne du juste milieu et de la dignité qui permettra, à moyen terme, de préserver l’intégrité de nos lieux de culte et la richesse du tissu associatif musulman.

N’acceptez pas de signer une charte de la honte qui n’engage que ceux qui la ratifient, sans la moindre valeur légale, puisqu’elle n’émane ni des services de l’état, ni n’a valeur de circulaire ou de loi. Plus grave encore, la signature de ce texte, rejeté par la majorité des associations musulmanes (hormis les représentants de quelques fédérations qui l’ont acceptée sans la moindre consultation des fidèles), participe à la criminalisation de ceux qui refusent de se soumettre à cette injonction politique en contradiction directe avec nos valeurs.

Saisissez au contraire cette occasion magnifique pour accomplir trois choses, que vous êtes déjà nombreux à faire :

1) Mettez-vous en conformité, sur le plan de la sécurité, des statuts, de la transparence financière, des agréments ERP, etc. La Plateforme a une équipe dédiée à ça, avec des professionnels pour vous accompagner tout au long de cette démarche. Ça aura le double avantage d’une part de faire ce qui est nécessaire (ces standards de qualité et de transparence devraient aller de soi), d’autre part de vous protéger, s’il venait l’idée à un ministre de l’intérieur zélé de vous « faire passer un message » en détournant les moyens administratifs de l’État à des fins politiques, comme il a tenté de le faire pour déstabiliser des mosquées et des associations.

2) Tissez une relation avec les autres mosquées et associations de votre département, pour mutualiser un certain nombre d’expériences et de compétences, sur des aspects transversaux comme la comptabilité, le juridique, etc. De la même manière, la relation avec la préfecture et la municipalité doit faire l’objet d’une attention particulière : ouverte, constructive, précise, franche, mais viscéralement attachée à l’indépendance et à l’autonomie de votre structure.

3)  Enfin, ré-impliquez l’ensemble des fidèles dans le  projet de votre structure. De la même manière qu’il est naturel de solliciter tout le monde au moment des collectes pour financer les projets, on devrait avoir le même souci d’implication des fidèles dans la gouvernance et les orientations thématiques de la mosquée. Par exemple, certaines mosquées fonctionnent par plans de 3 ans, avec un vrai projet pédagogique et théologique associé à chaque séquence. D’autant plus dans un contexte doublement compliqué par d’une part la pression politique, d’autre part la crise sanitaire, on a besoin de tous les musulmans, de toutes les musulmanes, des aînés comme des plus jeunes, pour faire vivre les mosquées, ces centres de rayonnement de la beauté, de la richesse, de la diversité de ce qu’est l’islam, dans toutes ses dimensions.

Vous pourrez retrouver l’ensemble de ces recommandations, pour la lutte contre l’islamophobie comme pour le fonctionnement des mosquées, directement sur le site de la Plateforme, en suivant les liens indiqués.

Voilà pour le cœur de l’intervention :

Des musulmans biens formés, dignes et fiers, pleinement conscients des enjeux de notre temps, soucieux d’aider l’ensemble de nos concitoyens. Des acteurs forts, sur le plan économique, social, culturel et citoyen. Une lutte contre l’islamophobie sans la moindre relâche ni la moindre complaisance, avec des moyens renforcés et des objectifs réalistes. Des structures associatives professionnelles et autonomes, au niveau local comme au niveau national. Et plus que toute autre chose : la volonté de donner du sens à qui nous sommes et à ce que nous faisons, sans jamais nous départir de ce qui fait de nous des musulmans : la volonté de plaire à Dieu et une inclination du cœur à faire le Bien, sans jamais désespérer, ni de Sa miséricorde, ni de notre capacité à aller au bout de notre projet. Voila l’essentiel de mon message.

Enfin, pour conclure, j’aimerais vous remercier. Du plus profond de mon cœur. Je n’ai pas les mots pour vous dire à quel point je vous aime, à quel point je tiens à vous, à quel point j’ai toujours souhaité et je souhaiterais toujours le meilleur pour vous. A quel point, de toutes mes forces, en conscience, j’ai toujours essayé de faire ce qui était juste, ce qui était nécessaire, ce qui me semblait important pour libérer mes frères et sœurs d’une forme d’oppression qui nous niait toute humanité, tout droit à nous accomplir dans toutes les dimensions de la foi que nous avons choisie et par laquelle Dieu nous a honorés : l’islam.

J’espère sincèrement avoir contribué à ma modeste échelle, à faire ma part, comme je vous demandais tout à l’heure de faire la vôtre. J’espère que je n’ai jamais eu une parole ou un geste qui vous a causé du tort, de la honte ou du ressentiment. J’espère ne jamais avoir donné une mauvaise image de notre foi, de notre voie, de notre voix, de ce qui fait de nous une communauté d’espérance. Si j’ai dit ou fait quoi que ce soit d’utile, alors c’est à Dieu que reviennent les louanges et le mérite. Et si j’ai causé un tort ou une incompréhension, quelle qu’elle soit – et j’ai forcément fait des fautes -, alors la responsabilité m’en revient entièrement. J’ai toujours veillé à respecter les autres, à faire preuve d’intégrité et de patience, même quand ça me coûtait, mais si au fil de ces années, j’ai causé la moindre peine ou le moindre ressentiment à l’un ou l’une d’entre vous, alors du fond du cœur, je vous présente mes excuses et je vous demande de me pardonner, sans la moindre arrière-pensée. 

Pour ce qui est de la suite, rassurez-vous je ne vais pas disparaître. Je vais juste me concentrer sur d’autres choses qui me tiennent tout autant à cœur. L’éducation, les contenus créatifs, l’entreprenariat, les maths et surtout, ma vie de famille. J’essaierai autant que possible de vous proposer des choses régulièrement et bien sûr, je n’hésiterai pas à m’exprimer sur des questions d’actualité lorsque je le juge nécessaire ou qu’une cause a besoin de soutien, mais si vous m’aimez, si vous me respectez, si vous suivez mon travail depuis tant d’années, alors je sais que vous me connaissez suffisamment pour comprendre que quand je prends une décision, c’est toujours planifié de longue date, pour de bonnes raisons et jamais à la légère.

Prenez soin de vous, prenez soin de nous. 

Marwan

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Références: 

Le site de la Plateforme L.E.S Musulmans, pour adhérer :
https://lesmusulmans.fr/adherer/

Le site du CCIEurope, pour déclarer des actes et soutenir :
https://ccieurope.org/

Le grand plan contre l’islamophobie :
https://lesmusulmans.fr/plan-lutte-islamophobie/

Pour devenir bénévole à la Plateforme :
https://lesmusulmans.fr/rejoindre/

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3 références de livres sur l’islamophobie et le racisme (le premier est de moi) :

Nous (aussi) sommes la Nation – Marwan Muhammad

Islamophobie : Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman » – A. Hajjat & M. Mohammed

La Mécanique Raciste – Pierre Tévanian