Témoignage d’un habitant de Gaza, recueilli par Abu Amir.
Je m’appelle Ibrahim, j’ai quarante ans et je vis dans la bande de Gaza… Ou pour être plus honnête, j’essaie de vivre. Je ne sais pas si ce que nous vivons ici peut encore être appelé une « vie », mais ce que je sais, c’est que je me suis réveillé aujourd’hui, non pas parce que j’ai bien dormi, mais parce qu’un missile est tombé près de nous, faisant trembler la tente où nous vivons.
Je ne suis ni écrivain, ni journaliste, je ne cherche pas la célébrité. Mais j’écris, parce qu’il ne me reste plus que les mots. J’écris pour dire que nous sommes encore là… même si le monde semble agir comme si nous avions disparu.
J’habitais une petite maison à Khan Younès. Elle était modeste, mais elle était à nous. On y entendait les cris de mes enfants, l’odeur des plats préparés par ma femme, les rires du soir quand l’électricité était coupée et que nous nous réunissions autour d’une bougie. Nous rêvions, malgré tout. Nous rêvions d’un jour où la souffrance s’arrêterait, où nous vivrions sans blocus, sans peur, sans avions qui tournent au-dessus de nos têtes chaque nuit.
Mais cette guerre a tout changé.
Le cinquième jour de la guerre, je me suis réveillé au son des cris. Des gens couraient dans les rues, des enfants pieds nus, des femmes affolées. La maison voisine avait été bombardée, les murs étaient soufflés, l’air rempli de poussière et de hurlements. J’ai pris mes trois enfants, ma femme enceinte, et j’ai couru, sans savoir où aller.
Nous vivons maintenant dans une tente près de l’hôpital européen. Une tente ? Plutôt un bout de tissu usé qui ne nous protège ni du froid, ni de la pluie. Depuis plusieurs jours, nous sommes trempés. Le sol est boueux, les couvertures humides, et le froid ronge nos os. Ma plus jeune fille pleure toute la nuit, et mon fils du milieu me demande chaque matin : « Papa, quand est-ce qu’on rentre à la maison ? » Et je baisse les yeux… parce que je n’ai pas de réponse.
Depuis plus de dix-sept ans, nous vivons sous blocus. Nous comptons les heures d’électricité, nous attendons l’eau comme les pauvres attendent un morceau de pain. Nous n’avons jamais vu notre mer sans être encerclés. Nous n’avons jamais vu d’aéroport, ni de voyage, ni même un horizon ouvert au rêve.
Toutes les quelques années, une guerre. Avec des noms différents, mais la même douleur. Les maisons s’effondrent, les corps sont ramassés, et nous recommençons… dans la boue, dans l’obscurité, dans le silence terrible du monde.
Dans cette guerre, j’ai perdu mon frère. Je n’ai jamais retrouvé son corps. Ils l’ont enterré sous les décombres, comme des centaines d’autres. Sa femme vit aujourd’hui avec nous, dort à nos côtés, tenant la photo de son mari et pleurant doucement… comme si elle ne voulait pas déranger la mort.
Je n’écris pas pour susciter la pitié, mais pour dire la vérité. Nous ne sommes pas des chiffres dans des bulletins d’information, ni des scènes dans les journaux télévisés. Nous sommes des êtres humains. Nous sommes des pères, des mères, nous portons nos enfants, nous rêvons pour eux d’un avenir. Nous voulons simplement vivre dignement. Nous ne sommes les ennemis de personne. Nous sommes les victimes. Les victimes de l’occupation, du silence, d’un monde qui a tout vu… et choisi de ne rien faire.
Mes enfants n’ont pas vu une école depuis des mois. Ma femme a accouché de notre quatrième enfant sur le sol, sans médecin, sans chambre, sans même de l’eau potable.
Je veux vieillir et voir mon fils aller à l’école, pas être porté petit jusqu’à une tombe anonyme. Tout ce que nous voulons… c’est la vie.
Certains d’entre vous ont la voix, l’image, la liberté. Utilisez-les. Ne nous laissez pas mourir deux fois : une fois sous les décombres, et une autre dans votre silence.
Je suis Ibrahim, de Gaza. Je raconte ce que nous vivons avant que nous ne devenions poussière.
Je parle… parce que malgré tout, nous aimons encore la vie.
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)