Sur Pessah, la « fête de la libération du peuple juif »

La fête de Pessah se termine. Célébration qui rappelle la sortie des Hébreux d’Egypte où ils étaient esclaves, elle est présentée partout comme la « fête de la libération du peuple juif ». Cette sortie a été suivie par une longue errance (40 ans) dans la péninsule du Sinaï qui s’est terminée dans l’actuelle Jordanie avant que les Hébreux ne franchissent le Jourdain pour entrer en Canaan, la Terre promise. Il est donc intéressant de regarder de plus près la globalité de cette histoire (un peu comme pour un évènement sportif où on ne se contente pas de regarder le détail du départ mais aussi la course et, surtout, l’arrivée).

Pessah, rappel des faits

Pessah (פֶּסַח en hébreu, la « Pâque juive ») est certainement la plus connue et la plus célébrée des 3 fêtes de pèlerinage de la religion juive (les 2 autres sont Chavouot – שבועות , la Pentecôte – qui commémore le don de la Torah sur le mont Sinaï et Souccot – חַג הַסֻּכּוֹת, la Fête des Cabanes, célébration de l’exode dans le désert. Ces 3 fêtes donnaient lieu autrefois à un pèlerinage et des offrandes au temple de Jérusalem.

Leurs dates correspondent à des périodes de réjouissances agricoles antérieures au judaïsme qui marquaient les débuts de différentes moissons avec la particularité, dans le cas de Pessah, des rites de cuisson des premiers pains (d’orge, non levés) et du sang d’un agneau répandu sur les attaches des tentes afin d’écarter les épidémies.

Tout en ne niant pas ses origines agricoles, les rabbins enseignent que Pessah célèbre la sortie d’Egypte, l’histoire du peuple hébreu qui y était esclave et les miracles qui ont permis cette grande évasion. Elle est décrite en détail dans le 2e livre de la Bible- L’Exode ( שְׁמוֹת en hébreu) à partir de son chapitre 12.

Le départ de cette grande évasion se serait donc effectué le 14 nissan vers 1440 avant JC (480 ans avant la le début de la construction du 1er Temple, estimée à 960 avant JC). Mais en Egypte régnait alors d’Amenhotep II, un pharaon de la XVIIe dynastie dont les conquêtes s’étendaient jusqu’en Syrie, Canaan compris. Curieuse libération vers un pays appartenant à l’Empire d’Egypte comme l’avaient déjà souligné les archéologues Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman et, plus récemment, Shlomo Sand.

 L’étendue de l’Égypte sous la XVIIIe dynastie (Wikipédia)

Par ailleurs l’Exode (12-37) précise qu’environ 600 000 hommes (« כְּשֵׁשׁ-מֵאוֹת אֶלֶף ») seraient partis. Si on y ajoute les femmes et les enfants cela fait entre 2,5 et 3-4 millions d’individus, c’est à dire entre la moitié et la totalité de la population égyptienne de l’époque.

Les recherches des archéologues dans le Sinaï ont achevé ce qui aurait pu encore subsister de véracité ou même de fond dans cette magnifique légende. Toutes ces incohérences ont fait rejeter la totalité du récit de l’Exode par l’ensemble de la communauté scientifique.

L’arrivée sur la Terre promise

Curieusement, aucune fête ne célèbre l’arrivée dans la Terre promise. Pourtant celle-ci est amplement décrite dans le livre de Josué (le 6e livre de la bible,  ספר יהושע).

Nous sommes maintenant quarante ans après la sortie d’Egypte. Les Hébreux franchissent le Jourdain et se lancent à la conquête de Canaan. Canaan est alors –  toujours selon la Bible – un pays que ses agriculteurs ont fait prospérer, il y « coule le lait et le miel ». Ces Hébreux qui, avec l’aide de Dieu ont fui l’Egypte et ont erré dans le désert si longtemps que tous ceux qui l’ont quittée sont morts entre temps vont-ils essayer de d’intégrer aux Cananéens ? Pas du tout, ils vont conquérir ce pays avec la plus grande violence. Par exemple, on sait comment les murailles de Jéricho sont tombées mais peu s’attardent sur ce qui a suivi: les Hébreux vont y massacrer la totalité de la population, hommes, femmes, enfants, bétail, jusqu’aux ânes (« וְעַד … וַחֲמוֹר, לְפִי-חָרֶב ») précise le Livre de Josué ! La ville sera même incendiée (sauf l’argent, l’or et les objets métalliques).

Puis ce sera le tour de la vile d’Aï (prise grâce à une embuscade suggérée par Dieu lui-même). Les versets 8-24 à 8-29 précisent: ville incendiée, son roi fait prisonnier, pendu et son cadavre jeté à l’entrée de la ville et les 12 000 habitants, hommes et femmes, passés au fil de l’épée (par contre bétail et richesses seront conservées cette fois). Et ainsi de suite, les horreurs se succédant avec l’aide de Dieu

Affolés par ces nouvelles, Adoni Tsedek, roi de Jérusalem et 4 autres roitelets voisins décident de s’allier contre Josué. Mauvaise idée: ils sont rapidement défaits et les Hébreux n’ont aucune pitié pour ceux qui s’enfuient. Dieu va même intervenir directement dans le massacre: il tue les fuyards en faisant pleuvoir des grêlons gros comme des rochers. Le verset 10-11 précise même qu’Il a tué plus d’hommes avec ses grêlons que les hommes de Josué avec leurs épées (:  רַבִּים, אֲשֶׁר-מֵתוּ בְּאַבְנֵי הַבָּרָד, מֵאֲשֶׁר הָרְגוּ בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, בֶּחָרֶב ) !  La nuit va bientôt tomber et il reste encore des ennemis qui tentent d’échapper à cette boucherie… Alors Dieu va encore mettre la main à la pate en arrêtant le cours du soleil afin que les Hébreux puissent achever le job…(verset 10-13: וַיִּדֹּם הַשֶּׁמֶשׁ וְיָרֵחַ עָמָד, עַד-יִקֹּם גּוֹי אֹיְבָיו – « Et le soleil s’arrêta, et la lune suspendit sa course …etc. »). Ce chapitre ne précise pas si les Hébreux ont rattrapé leur retard en matière de tués par rapport à Dieu.

Conquête et massacres systématiques se poursuivent ad nauseam jusqu’à la fin du chapitre 11. Elles se terminent comme il se doit par le partage du pays conquis entre les 12 tribus vainqueures.

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 Carte du partage des conquêtes de Josué (Wikipédia).

Il s’étend de la frontière égyptienne à Sidon au Liban et comprend le quart de la Jordanie (dont Amman) et quelques précieux km² de la vallée du Yarmouk du sud de la Syrie.

Aujourd’hui historiens et archéologues s’accordent sur le fait que le texte biblique n’a aucun rapport avec une quelconque réalité (e.g. à l’époque où les Hébreux auraient franchi le Jourdain, Jéricho n’est qu’une bourgade en partie abandonnée et sans murailles). Le récit aurait été écrit au VIIe siècle avant JC, très probablement sous le règne de Josias (dont le Grand prêtre avait déjà, fort opportunément, trouvé les 5 premiers livres de la Bible), librement inspiré de textes assyriens (avec le plagiat des grêlons du dieu Assur qui tuent les ennemis).

Et quel enseignement tirer de cette épopée ?

Il est choquant de lire que cette histoire de libération se termine par une conquête d’une violence inouïe: aujourd’hui on parlerait crimes de guerre, de nettoyage ethnique, de génocide. On y retrouve à la fois la justification du crime (cette Terre a été donnée par Dieu aux Hébreux, peu importe que des gens y vivent). S’y trouvent aussi les excuses à ces horreurs données par nos criminels modernes « j’avais des ordres » qui dans le livre de Josué se disent  » כַּאֲשֶׁר אָמַר-לוֹ יְהוָה  » (« Comme l’Eternel a dit de le faire »).

Léon Ashkenazi, le célèbre philosophe et cabaliste dont j’ai suivi l’enseignement, expliquait qu’il ne fallait retenir du texte biblique que son sens moral. Je me demande toujours où se trouve la morale dans cette histoire de peuple qui s’enfuie complètement dénué dans le but de s’emparer de la terre d’un autre.

Mais heureusement, ce ne sont que des légendes, pourrait-on dire ! En effet comment pourrait-on imaginer que des gens au siècle précédent par exemple, prétendant que la terre de Canaan est la leur puissent envahir ce pays, en chasser les hommes, les femmes et les enfants tout en commettant quelques crimes de guerre histoire de convaincre les habitants d’abandonner leurs biens plus rapidement ?

Pourtant, c’est bien le conte auquel les grandes puissances ont fait semblant de croire pour créer un Etat réservé à une « ethnie ». Et c’est toujours cette légende que nos gouvernants nous ressassent. Une mythologie qu’utilisent toujours – et le plus sérieusement du monde – les colons israéliens pour justifier de leurs prétentions sur les terres qu’ils volent aux Palestiniens. Parmi ces colons, certain vont même jusqu’à revendiquer la totalité des terres attribuées par Josué aux 12 tribus (y compris les territoires situés au Liban, en Syrie et en Jordanie) !

C’est aussi cette cécité volontaire de nos puissants qui ont laissé Israël voter une Loi fondamentale voici 4 ans privant de certains droits ses seuls citoyens palestiniens définissant ce pays comme le « foyer national du peuple juif ». Une loi justifiant l’apartheid mis en œuvre par l’Etat d’Israël, une ségrégation enfin dénoncée avec force ces derniers temps.

Les historiens ont beau rabacher encore et encore que cette « conquête » est une pure invention, qu’aucune trace archéologique ne permet de prétendre qu’elle a existé. Finkelstein et Silberman expliquent même que ces livres ont été écrits pour justifier les ambitions territoriales de Josias, un roitelet qui régnait au VIIe siècle sur un petit royaume (Juda) habité d’une cinquantaine de milliers d’habitants…

Mais qui les écoute ? La légende reste la plus forte: elle est tellement pratique pour tout justifier, y compris les pires délires idéologiques !

Michel Ouaknine