L’an prochain à Jérusalem, ça n’a jamais voulu dire une occupation coloniale ( à propos de la « Journée de Jérusalem » à Montpellier)

Lettre envoyée pour protester contre l’organisation à Montpellier d’une cérémonie célébrant l’annexion de Jérusalem-Est.

La religion juive est une religion messianique. L’an prochain à Jérusalem, ça veut dire « nous avons une pensée pour Jérusalem », exactement comme les musulmans se tournent vers La Mecque pour prier. Ça n’a jamais voulu dire « j’expulse les autochtones de Jérusalem et je m’y installe ». Et le peuple élu, ça ne veut pas dire celui qui a plus de droits que les autres, mais celui qui a plus de devoirs.

Les fondateurs du sionisme étaient pour la plupart agnostiques. Ils ont utilisé la Bible comme un livre de conquête coloniale. Ils ont inventé la fable de l’exil et du retour des Juifs. La réalité historique est têtue. Les descendants des Judéens de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens. Ceux-ci ont été successivement juifs, chrétiens puis musulmans. La Palestine a eu pendant des siècles avant le sionisme une identité plurielle avec environ 80% de Musulmans, 15% de Chrétiens et une minorité juive qui vivait en harmonie avec ses voisins.

En 1948, le nettoyage ethnique de la Palestine (800000 expulsés, des centaines de villages détruits dont on a effacé la trace et le nom) a touché Jérusalem-Ouest qui a été vidée de sa population palestinienne. Le village palestinien martyr emblématique, Deir Yassin (le massacre a eu lieu le 9 avril 1948), est situé à quelques Km.

En 1967, la conquête israélienne s’est accompagnée de l’expulsion immédiate de plusieurs milliers d’habitants de Vieille Ville de Jérusalem. Un grand territoire allant de Ramallah à Bethléem a été annexé et la colonisation a commencé. Des énormes villes ont poussé sur ce territoire : Ramot, Pisgat Zeev, Gilo, Har Homa et bien d’autres. La « communauté internationale » a collaboré à cette colonisation et ce sont deux entreprises françaises (Alstom et Véolia) qui ont construit le tramway reliant Pisgat Zeev à Jérusalem Ouest.

Tout a été fait pour rendre les Palestiniens minoritaires dans leur ville. Ce n’est pas encore réalisé, il y a environ 380000 Palestiniens au statut précaire et 240000 colons à Jérusalem Est.

Du coup, l’occupant a commencé à attaquer les quartiers palestiniens, expulsant les autochtones pour y installer des colons. À Silwan, c’est l’instrumentalisation de la Bible qui sert de prétexte (le Roi David aurait vécu là, ce qui est une pure fiction). À Cheikh Jarrah, l’occupant affirme qu’il y avait des Juifs là avant 1948. Prétexte assez incroyable de la part d’un État qui interdit le retour des réfugiés palestiniens et qui affiche là sans vergogne un suprématisme inouï : selon l’origine ou l’identité supposée, les uns ont tous les droits, les autres n’en ont aucun.

Les journées tragiques du mois de mai 2021 ont commencé à Jérusalem avec la résistance des habitants de Cheikh Jarrah contre les colons et l’armée envahissant leurs maisons. Elles se sont prolongées sur l’esplanade des mosquées avec l’intrusion des soldats israéliens. Des véritables ratonnades aux cris de « mort aux Arabes » ont été organisées impunément par les colons. Puis tout le reste de la Palestine fragmentée s’est embrasé. Le bilan est tragique : plus de 250 morts dont 66 enfants. Les Palestiniens restent debout et refusent obstinément l’apartheid, les humiliations et l’enfermement.

C’est dans ce contexte qu’une fois de plus, le Centre Culturel Juif de Montpellier organise une célébration de l’annexion de Jérusalem Est. Nous leur répondons tranquillement : au regard du droit international ou des résolutions de l’ONU, Jérusalem Est est un territoire occupé. Cette annexion coloniale n’a strictement rien à voir avec les identités juives, qu’elles soient laïques ou religieuses. Une telle  célébration a pour but d’enrôler les Juifs dans le soutien inconditionnel au suprématisme, au colonialisme et à l’apartheid. C’est totalement contraire aux valeurs du judaïsme. Pire, l’idée distillée en permanence, que s’opposer à cette politique de nettoyage ethnique et de brutalité, c’est être antisémite n’est pas seulement indécente, elle met sciemment les Juifs en danger en faisant d’eux les complices de  l’inacceptable.

Dans une période où la notion de « gauche » est de plus en plus difficile à saisir, le soutien politique et financier des collectivités locales (mairie de Montpellier, département de l’Hérault, région Occitanie) à une telle initiative est plus que navrant. Ces politiciens devraient méditer le passé. Quand une certaine gauche a piétiné les valeurs qu’elle était censée défendre pendant la guerre d’Algérie, elle a mis des années à s’en remettre. Et apparemment, elle ne s’en est jamais vraiment remise.


Pierre Stambul (Union Juive Française pour la Paix)