Intervention de Richard Wagman lors d’une visio-conférence sur le thème : « L’antisionisme est-il un antisémitisme ? »

Samedi 3 avril 2021

« L’antisionisme est-il un antisémitisme ? »

Visioconférence organisée par l’UJFP et la Fédération des Libres Penseurs de Seine-Saint-Denis. Intervention de Richard Wagman sur l’antisémitisme en France aujourd’hui.
  • Y a-t-il trop de Juifs en France ? C’est la question posée par un sondage Ipsos réalisé en janvier 2016. Il révèle qu’à ce moment-là plus de la moitié des sondés (56 %) pensent que les Juifs ont « beaucoup de pouvoir » ou qu’ils sont « plus riches que la moyenne des Français ». 41 % pensent qu’ils sont « un peu trop présents dans les médias » et 60 % estiment qu’ils ont leur part de responsabilité dans la montée de l’antisémitisme et plus généralement, 13 % pense « qu’il y a un peu trop de Juifs en France. »
  • Quant à l’islamophobie, le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France, récemment dissout par le gouvernement) a relevé une augmentation de 75 % d’actes de cette nature entre 2017 et 2019. Ce chiffre est corroboré par les renseignements gouvernementaux, provenant du SSMSI (Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure) et la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme).
  • Ces mêmes sources gouvernementales montent que pendant cette période il y a eu plus d’actes racistes contre les musulmans, les Noirs, les Roms et les Asiatiques que contre les Juifs.
    Et pourtant il y a une montée inquiétante des actes antisémites au cours des dernières années, y compris des cas graves (violence, torture, meurtres). En voici quelques exemples emblématiques. Ils sont signés par l’extrême droite, ou bien attribuables à des préjugés séculaires (les Juifs auraient de l’argent, ils auraient beaucoup de pouvoir, etc.) :
  • 2004 : Profanation de tombes juives en Alsace et la Meuse faites par des jeunes néo-nazis, accompagnés de tags hitlériens.
  • 2006 : Ilan Halimi est séquestré et torturé à Bagneux (92), un crime antisémite crapuleux signé par le Gang des Barbares.
  • 2007 : Profanation d’un cimetière juif dans le Nord/Pas de Calais et en Basse Normandie, souillés par des enseignes nazis. Cette même année l’ancien Premier ministre Raymond Barre dénonce le « lobby juif » et réhabilite Maurice Papon, criminel de guerre responsable pour la déportation de Juifs de Bordeaux, y compris des enfants.
  • 2012 : une série de tweets « #Unbonjuif », suivi d’une condamnation pénale après une plainte déposée par l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France). Cette même année « l’humoriste » Dieudonné fait un tabac avec ses spectacles antisémites et le blogeur d’extrême droite Alain Soral diffuse sur la toile ses théories complotistes avec un grand succès auprès des jeunes.
  • 2014 : agression crapuleux antisémite à Creteil, y compris avec le viole d’une des victimes.
  • 2015 : 250 tombes juives profanées, avec des gestes hitlériens, par des jeunes du village dans le cimetière israélite de Sarre-Union en Alsace.
  • 2016 : tags antisémites et anti-Roms sur l’école Anne Frank à Montreuil (93), soit « Juden kaputt » et « Extermination de ces sales cafards de Roms ». Le choix d’une école baptisée Anne Frank n’était pas un hasard.
  • 2017 : Meurtre à Paris de Sarah Halimi, une rescapée de la Shoah.
  • 2018 : Meurtre à Paris de Mireille Knoll, autre rescapée de la Shoah.
  • 2019 : Un immeuble de Blois est orné de dizaines de croix gammées. Cette même année des croix gammées sont trouvées sur un panneau d’affichage du groupe scolaire Simone Veil à Paris, à Artigues-près-Bordeaux en Gironde, puis deux hommes ont menacé une habitante de Garges-les-Gonesse (95) aux cris de « Sale juive (…) on va tous vous brûler ». En octobre 2019, une plaque dédiée à la mémoire des Juifs déportés est vandalisée à Lyon. En décembre, des croix gammées sont peintes sur des tombes juives à Westhoffen en Alsace.
  • 2020 : Une hausse marquée de paroles antisémites est constatée sur les réseaux sociaux. Pendant la campagne des élections municipales à Lyon, des tags antisémites paraissent sur des affiches. En août, la maison d’une famille juive de Lyon est défigurée avec les inscriptions « Heil Hitler » et « Juden ». En décembre, Mademoiselle April Benayoum, la lauréate du concours Miss France, est conspuée lorsqu’elle révèle son origine juive. Puis le 17 décembre, dernier jour de Hanukah (la Fête des Lumières dans la tradition juive), une famille est physiquement attaquée à Aubervilliers (93) sous les cris de « nique les Juifs ».
  • Février 2021 : Une étoile jaune est taguée sur la porte d’un bar lyonnais. Il faut noter de nombreuses attaques commises à Lyon par le groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire, sans que ce groupe n’ait revendiqué ces actes antisémites.
    Je n’ai pas énuméré ci-dessous la série d’actes antisémites directement attribuables à l’influence du conflit en Israël-Palestine. Sans prétention scientifique au niveau statistique, cet « inventaire à la Prévert » donne le ton et témoigne d’une multiplication d’agressions racistes en général.
    Pourquoi les Juifs ? Les antisémites endurcis qui agissent par idéologie, on ne va pas les convaincre, on ne peut que réprimer leurs actes. Le criminels qui pensent (contre toute évidence) que les Juifs ont beaucoup d’argent (en fait, ils ont le même train de vie que la population française en général, toute classe sociale confondue) persistent dans leurs préjugés, infondés mais lourds de conséquences.
    Ensuite, il y en a – nombreux – qui confondent les Juifs français avec les Israéliens. Avec leur antisémitisme ils expriment de façon détournée un certain « soutien » aux Palestiniens. Leila Shahid (ancienne Déléguée Générale de la Palestine en France) et d’autres responsables palestiniens ont clairement récusé un tel « soutien », précisant qu’ils n’ont rien contre les Juifs. Leur combat, c’est contre les Israéliens, et plus précisément contre la direction israélienne. Ils font bien la distinction entre les deux.
    Pourquoi une telle confusion ? Tout d’abord l’État d’Israël – qui se présente comme un État juif – l’entretient sciemment. Ses suppôts locaux également, notamment le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France). Mais ce n’est pas tout.
    Ce n’est pas le seul gouvernement israélien mais aussi le gouvernement français qui a une part de responsabilité dans cette confusion, et donc dans les agressions qui en découlent contre nos concitoyens de culture juive.
    En 2003 Jacques Chirac, alors Président de la République, a lancé le « Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ». Très bien, mais pourquoi l’antisémitisme est la seule forme de racisme cité dans le titre ? Ni l’islamophobie (pourtant un problème plus répandu), ni d’autres formes de racisme n’y paraissent. Cela donne l’impression que le gouvernement ce souci davantage de ses citoyens juifs que ces citoyens musulmans, noirs, Roms, etc. Déjà ça donne un mauvais signal. Malgré nos critiques, le gouvernement n’a pas modifié l’intitulé de cette instance.
    En 2007 Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, a répété à plusieurs reprises sa préoccupation pour la sécurité d’Israël, sans parler de celle des Palestiniens. En 2008, il invite à Paris le Président israélien, Shimon Pérès, pour inaugurer le Salon du Livre de Paris, où et Israël est l’invité d’honneur. Sarkozy a renforcé la coopération bilatérale franco-israélienne, y compris la coopération militaire.
    Les dirigeants du Parti socialiste ne sont pas en reste. En 2014, Manuel Valls, Premier ministre de François Hollande, a dénoncé un « nouvel antisémitisme qu’il faut combattre, sur fond d’un antisionisme qui propage la haine du Juif. (…) Se dire antisioniste ou nier le droit à l’existence de l’État d’Israël en voulant éviter l’accusation d’antisémitisme n’est pas possible ». Contre toute évidence. On lui a pourtant informé que les plus ardents opposants au sionisme sont des intellectuels juifs, aujourd’hui comme dès le début du mouvement sioniste il y a plus d’un siècle.
    En 2015 François Hollande, alors Président de la République, a prononcé un discours au Mémorial de la Shoah le 27 janvier (anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz). Il a osé dire que l’antisémitisme « se nourrit aussi de la haine d’Israël ». Et pourtant la plupart des 6 millions de martyrs de la Shoah n’était pas sionistes.
    Et la République en Marche ne se fait pas doublé par la droite, ni par le PS. En septembre 2017 Edouard Philippe, Premier ministre d’Emmanuel Macron, s’est rendu à la synagogue de la rue Buffault (Paris 9ème) à l’occasion de Roch Hachana, le nouvel an juif. Une telle visite constitue une violation caractérisée contre la laïcité à la française, où les représentants de l’État se tiennent à l’écart des lieux de culte, surtout depuis 1905 et la loi sur la Séparation entre les Églises et l’État. De toutes façons les relations avec les cultes revient au ministre de l’Intérieur, pas au Premier ministre. Edouard Philippe ne l’a pas fait à la cathédrale Notre-Dame (c’était avant l’incendie), ni à la Grande Mosquée, ni dans un temple affiliée à la Fédération protestante, mais il l’a fait dans une synagogue parisienne. Pourquoi violer ainsi l’usage en la matière et pourquoi chez les juifs ? Cela a eu pour effet de donner à cette communauté confessionnelle une place à part, au détriment des autres.
    Toujours en 2017 Emmanuel Macron, Président de la République, a participé à la cérémonie commémorative de la rafle du Vel d’Hiv. Très bien, mais il a pris la parole pour rappeler ce qu’il identifie comme « une autre réalité, celle de la banalisation de l’antisémitisme et de sa forme réinventée (…), l’antisionisme. » On lui a dit que l’antisionisme date de… 1897, exprimée avec force par des dirigeants de la communauté juive, alors très majoritairement antisionistes. Mais cela ne semble pas avoir infléchi la pensée d’Emmanuel Macron.
    En 2019 le Président Macron s’est adressé au dîner annuel du CRIF pour annoncer son intention de faire adopter par la France la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA (Alliance Internationale pour le Souvenir de la Shoah). Cette définition est accompagnée de plusieurs exemples, dont la plupart assimilent à l’antisémitisme des critiques de la politique israélienne.
    En janvier 2020 Emmanuel Macron a prononcé un autre discours sur l’antisémitisme, pas à Paris cette fois-ci mais à Jérusalem. Il a affirmé que « l’antisémitisme, lorsqu’il est la négation de l’existence d’Israël comme État, est un antisémitisme ». Et pourtant ni les Palestiniens, ni d’éminentes figures juives qui contestent l’existence d’un État juif sur cette terre – religieux comme laïques – ne sont des antisémites. Le mois suivant M. Macron a récidivé au dîner annuel du CRIF : « L’antisémitisme est une des formes modernes de l’antisémitisme ». Son choix, assumé, n’est pas le fait d’un manque d’information.
    En mars 2021 le député La République en Marche Patrice Perrot demande la dissolution d’une association à Toulouse, le « Collectif Palestine Vaincra », et ceci sur demande expresse de… Benyamin Netanyahou ! Que le Premier ministre israélien ose s’ingérer de façon peu diplomatique dans les affaires intérieures françaises est une chose, déjà assez choquante. Que le parti gouvernemental, tout comme le PS et Les Républicains, répètent inlassablement le mensonge d’antisémitisme quand il s’agit d’exprimer une opinion sur la politique menée par un gouvernement étranger, est une triste illustration du niveau d’honnêteté intellectuelle de la classe politique française.
    Richard Wagman
    Président d’honneur, UJFP (Union Juive Française pour la Paix)