Comment Israël est devenu un outil indispensable à la domination états-unienne au Proche-Orient

Cet article a été écrit en septembre, avant la défaite de Trump. Il vient d’être publié dans « L’idée libre » (pages 29 à 33).

Sionisme et impérialisme : des affinités précoces

Le sionisme apparaît à la fin du XIXe siècle quand un antisémitisme féroce devient hégémonique dans de nombreux pays d’Europe. Mais le sionisme n’a pas combattu l’antisémitisme. Les sionistes ont partagé dès le départ avec les antisémites l’idée que les Juifs formaient une race et surtout l’idée que Juifs et non Juifs ne pouvaient pas vivre ensemble. Parce qu’il est favorable au fait que les Juifs quittent l’Europe, le sionisme recevra une sympathie certaine de la part d’antisémites dont c’est le rêve.

En cette période, le colonialisme est en plein essor. Pour les antisémites, les Juifs sont des parias asiatiques inassimilables. Le sionisme propose de les transformer en colons européens en Asie.

Le protecteur britannique

Balfour était un antisémite, influencé par les Chrétiens sionistes pour qui les Juifs doivent « revenir » en terre sainte afin de favoriser le retour du Christ. Sa déclaration (1917) promet aux sionistes une terre que l’impérialisme britannique n’a pas encore conquise et celui-ci sera le premier protecteur du sionisme. Le « mandat » donné par la Société des Nations (proposé en 1920 et établi en 1923) est théoriquement provisoire : le colonisateur est invité à aider la Palestine à devenir « majeure ». Le premier haut-commissaire de la Palestine mandataire, Herbert Samuel, est sioniste. Il permet aux dirigeants sionistes de fonder, des années avant l’indépendance, un véritable État avec son système d’enseignement, ses hôpitaux, ses universités, ses entreprises, sa poste et même son armée (la Haganah).

Tous les sionistes n’ont pas joué la carte britannique. Les « révisionnistes » de Vladimir Jabotinsky, dont les héritiers sont aujourd’hui au pouvoir en Israël, préféraient faire alliance avec l’Italie fasciste.

Les sionistes et l’armée britannique réprimeront ensemble avec une grande férocité la révolte palestinienne de 1936. Cette alliance sera rompue en 1939 quand le colonisateur britannique, soucieux de maintenir sa domination sur le Proche-Orient et de ne pas s’aliéner les masses arabes, diminuera considérablement l’immigration juive.

D’un protecteur à l’autre

Certains groupes armés sionistes continueront à combattre les Britanniques pendant toute la guerre, alors que l’extermination nazie décime plus de la moitié de la population juive en Europe.

Après la guerre, il y aura un véritable consensus parmi les dirigeants des pays vainqueurs pour en finir avec la « question juive » sur le dos des Palestiniens. Il ne s’agit pas d’un sentiment de culpabilité après le génocide, mais plutôt d’une façon de se débarrasser des Juifs : « maintenant, vous avez un pays, vous partez quand vous voulez ». Le camp stalinien jouera aussi ce jeu. Les sionistes gagneront la guerre de 1948 avec des armes tchèques et l’URSS sera un des premiers pays à prôner la partition de la Palestine, puis à reconnaître Israël.

Israël choisira le pseudo « monde libre » au moment de la guerre de Corée (1950-53). En 1956, il y aura une alliance Israël /France /Grande-Bretagne pour attaquer l’Égypte de Nasser. À cette époque, les liens avec les États-Unis ne sont pas ce qu’ils sont aujourd’hui et c’est une motion commune des deux grandes puissances (États-Unis et URSS) qui obligera Israël à évacuer le Sinaï et Gaza.

Le rôle de la France

Après la deuxième guerre mondiale, les sionistes disposent de puissants relais en France, en particulier dans la SFIO avec Léon Blum et Guy Mollet. C’est la France qui transfèrera en Israël la technologie nucléaire. Marcus Klingberg (le grand-père de Ian Brossat) et Mordekhaï Vanunu passeront de très nombreuses années en prison pour avoir dévoilé ce secret de polichinelle. Israël détient l’arme nucléaire, on parle de plusieurs dizaines de têtes nucléaires à Dimona dans le nord du désert du Néguev. Sauf qu’on voit mal comment une telle arme pourrait être utilisée contre les Palestiniens, tellement les territoires sont imbriqués.

Cette alliance étroite sera, un temps, interrompue par de Gaulle, soucieux d’une politique « équilibrée » avec le monde arabe. Mais c’est avec des avions français que les Israéliens détruiront la quasi-totalité de l’aviation des armées arabes en juin 1967 et gagneront la « guerre des six jours ».

Avec les États-Unis, le tournant de 1967.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, lesÉtats-Unis ont activement soutenu la création et les premiers pas d’Israël. La communauté juive de ce pays (de loin la plus importante dans le monde à cette époque) aussi, mais avec des désaccords profonds. Ainsi en 1948, quand Menahem Begin veut visiter les  États-Unis juste après le massacre de Deir Yassine près de Jérusalem où toute la population palestinienne a été massacrée, les principaux intellectuels juifs du pays, Hannah Arendt et Albert Einstein entre autres, écrivent à Truman : « Begin arrive, c’est un fasciste, arrêtez-le ou expulsez-le ».

Le vrai tournant a lieu 20 ans plus tard pendant la « Guerre des 6 jours ». L’aviation israélienne attaque et coule un destroyer états-unien, le Liberty. Il y aura 34 morts et de nombreux blessés. Les survivants n’auront jamais ni explication, ni réparation. Des décennies plus tard, un d’entre eux, Joe Meadors, participera à plusieurs « flottilles de la liberté » pour briser le blocus de Gaza.

Parapluie et aide inconditionnelle

Quel était le calcul des dirigeants israéliens ? Leur armée venait de faire une démonsration de force. Elle avait écrasé des alliés de l’URSS. Israël demandait l’aide politique et militaire des  États-Unis tout en revendiquant, par le fait d’aller jusqu’à couler un navire états-unien, d’être maître de ses décisions. Le président Johnson n’a pas hésité.

Dès cette époque, les  États-Unis utilisent systématiquement leur droit de veto pour empêcher toute condamnation d’Israël à l’ONU. Une aide financière très importante est instituée. C’est aujourd’hui près de 4 milliards de dollars par an auxquels s’ajoutent les aides privées encore plus importantes. La colonisation de la Cisjordanie qui commence ne connaît plus d’obstacle.

Le président Carter sera très critique vis-à-vis d’Israël après sa défaite électorale en 1980, allant jusqu’à parler d’apartheid israélien. Mais sous sa présidence, l’aide militaire à Israël sera en pleine croissance et Carter supervisera une paix avec l’Égypte qui s’avèrera être un coup de poignard dans le dos des Palestiniens. Quand Begin envahira à nouveau le Liban en 1982, les troupes états-uniennes débarqueront à Beyrouth pour essayer d’y implanter un régime à leur botte.

Technologies complémentaires et politique sécuritaire.

Il serait erroné de croire qu’Israël est devenu le 51ème État des États-Unis ou que les dirigeants israéliens sont de simples marionnettes dans les mains des dirigeants états-unien.

Israël a une économie de start-up. Les F18 qui ont rasé des quartiers de Gaza sont fabriqués aux États-Unis, mais ils ne pourraient pas voler sans la technologie israélienne.

Ce pays est devenu un véritable laboratoire des technologies de pointe, de la surveillance et de la répression des populations réputées dangereuses.

Cette « expertise » fait que les polices et les armées du monde entier viennent en Israël pour apprendre les techniques de répression et le maniement des armes nouvelles. L’argument de vente c’est : « ces armes sont excellentes, regardez comment on les a utilisées contre les Palestiniens ». Un excellent documentaire israélien (« The Lab ») montre comment la police et l’armée brésilienne, à l’époque de Lula, sont venues se former en Israël pour donner l’assaut aux favelas de Rio et assurer la tenue des Jeux Olympiques.

Complicité et besoin mutuel

Entre Israël et les  États-Unis, c’est donnant-donnant. « Je te protège et je te donne des armes, tu fais mes basses œuvres et tu garantis ma mainmise sur la région ».

Fondamentalement, Israël est l’État rêvé pour les dirigeants occidentaux. C’est un exemple vivant de reconquête coloniale. C’est un  État qui peut se permettre de violer ouvertement les droits fondamentaux, c’est un morceau d’Occident fiché au Proche-Orient dont le surarmement garantit le contrôle de la région et de ses richesses.

Cette situation permet aux dirigeants israéliens de ne pas dépendre des décisions d’un président états-unien. Une intense campagne de lobbying fait qu’il est très difficile pour un parlementaire états-unien d’être élu ou réélu s’il s’oppose à la politique d’Israël. Obama a fait preuve d’une très grande lâcheté pendant ses 8 ans à la Maison Blanche. Les rares fois où il a voulu un petit peu freiner le rouleau compresseur colonial, les dirigeants sionistes ont su le contourner ou l’humilier.

Cette politique états-unienne ne répond pas à une demande de la communauté juive locale dont de nombreux courants (comme l’association JVP = Jewish Voice for Peace) sont hostiles à la colonisation et à l’apartheid. Le soutien inconditionnel est avant tout stratégique.

Sur toutes les questions liées à la colonisation ou au « Grand Israël », les décisions se prennent essentiellement en Israël et pas à la Maison Blanche. Celle-ci suit, protège et « fait le service après vente ».

La fable du processus de paix

Les accords d’Oslo et les années qui ont suivi constituent une escroquerie politique d’une grande ampleur. On peut comprendre que les dirigeants palestiniens aient cherché, à un moment donné, un compromis. Mais avoir choisi comme « médiateur » l’impérialisme yankee, celui qui arme et protège, quoi qu’il arrive, l’occupant, dépasse l’entendement. Dans son livre « le rêve brisé », Charles Enderlin raconte les négociations de Taba. Quand Arafat, constatant qu’on exige de lui une capitulation sur les droits du peuple palestinien refuse de signer, Clinton le menace ouvertement : « tu signes, ou nous te ferons porter la responsabilité de l’échec ». Et c’est ce qui s’est passé avec la légende des « offres généreuses » refusées par les Palestiniens. Les  États-Unis suivront Israël dans ses projets coloniaux. L’ambassade à Jérusalem ou le plan Trump qui permet l’annexion en sont la preuve.

L’invention de l’ennemi iranien

Il y a eu historiquement une importante communauté juive en Iran qui n’a pas vraiment subi de persécutions. Quand j’avais pu rencontrer le rabbin de la synagogue d’Ispahan (en 2000), il m’avait expliqué : « vous savez, ici les conflits sont entre sunnites et chiites, entre Arabes et Perses, nous ne sommes pas concernés. Et puis, les Perses sont nos amis depuis 2500 ans (référence à l’empereur Cyrus) ». On pourrait ajouter que pendant la guerre Iran-Irak, Israël a discrètement livré des armes à l’Iran.

La propagande israélienne a transformé la république islamique (qui est certes une dictature détestable) en « Grand Satan ». Il s’agit de ne pas être face à face avec le peuple palestinien trop manifestement désarmé et d’internationaliser la guerre. Il s’agit aussi de participer au « choc des civilisations », inventé et  théorisé par le Président Bush après le 11 septembre. Il s’agit aussi de transformer une guerre coloniale en guerre de religion.

Lors de chaque campagne électorale en Israël, les politiciens ont rivalisé sur l’idée d’une « guerre préventive » contre l’Iran pour l’empêcher d’avoir l’arme nucléaire. Tout ceci alors qu’Israël n’a signé aucun traité sur l’arme nucléaire et la détient depuis bien longtemps.

Une armée doté d’un  État

Le projet sioniste était de séparer les Juifs de reste de l’humanité. L’État juif est devenu logiquement un État colonisateur surarmé. La volonté forcenée d’être purement « juif » l’a amené à l’apartheid, au suprématisme et à la proximité idéologique avec l’extrême droite raciste. Pour réaliser ce projet, le sionisme aura trouvé de nombreux protecteurs. Depuis plus de 50 ans, pour des raisons stratégiques et militaires, ce protecteur est essentiellement états-unien.

Pierre Stambul