Seul un empire américain en déliquescence peut être assez aveugle pour applaudir Netanyahu et son génocide

Par Jonathan Cook

Tous les empirent meurent. Leur effondrement devient inévitable lorsque leurs dirigeants perdent la capacité de se rendre compte qu’ils sont devenus des monstres grotesques.

l n’y a qu’un seul pays au monde où, en plein massacre israélien à Gaza, le Premier ministre Benjamin Netanyahu est sûr de se faire ovationner des dizaines de fois par la grande majorité des représentants élus.

Ce pays n’est pas le sien car en Israël, il est considéré comme une personnalité extrêmement clivante depuis de nombreuses années. Il s’agit des États-Unis.

C’est ce même Netanyahu qui a orchestré, au cours des dix derniers mois, le massacre – à ce jour – de quelque 40 000 Palestiniens, dont près de la moitié étaient des femmes et des enfants. Plus de 21 000 autres enfants sont portés disparus, la plupart d’entre eux probablement enterrés sous les décombres.

C’est ce même Netanyahu qui a rasé une bande de territoire – où vivaient à l’origine 2,3 millions de Palestiniens – dont la reconstruction devrait prendre 80 ans et coûter au moins 50 milliards de dollars.

C’est ce même Netanyahu qui a détruit tous les hôpitaux et toutes les universités de Gaza, et qui a bombardé la quasi-totalité des écoles qui servaient d’abris aux familles dont les maisons avaient été écrasées sous d’autres bombes israéliennes.

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C’est ce même Netanyahu dont le procureur général de la Cour pénale internationale demande l’arrestation pour crimes contre l’humanité, car il est accusé d’avoir utilisé la famine comme arme de guerre à Gaza, en bloquant l’aide humanitaire.

C’est ce même Netanyahu dont le gouvernement a été, la semaine dernière, accusé par la Cour internationale de justice (CIJ) d’avoir encore durci le régime d’apartheid que fait peser Israël sur le peuple palestinien dans un acte d’agression sans fin.

C’est ce même Netanyahu dont le gouvernement est jugé pour avoir commis ce que la CIJ, la plus haute instance judiciaire du monde, a qualifié de « génocide plausible ».

Et pourtant, il n’y avait qu’une seule protestataire dans la salle du Congrès. Rashida Tlaib, la seule députée d’origine palestinienne, était assise en silence et tenait une petite pancarte noire. D’un côté, on pouvait lire : « Criminel de guerre ». De l’autre, « génocidaire ».

Une personne parmi des centaines d’autres essayait en silence de montrer que l’empereur était nu.

Protégés de l’horreur

Le spectacle était vraiment difficile à supporter.

En effet cette visite ressemblait moins à celle d’un dirigeant étranger qu’à celle d’un ancien général décoré accueilli au Sénat, dans la Rome antique, après sa victoire, ou à celle d’un vice-roi britannique aux cheveux grisonnants applaudi au parlement de sa mère patrie, après avoir brutalement soumis les « barbares » aux confins de l’empire.

C’est une scène que l’on retrouve dans les livres d’histoire : la brutalité impériale et la sauvagerie coloniale, présentées, au siège de l’imperium, comme de la bravoure, de l’honneur et une œuvre civilisatrice. Et cela semblait tout aussi absurde et odieux que ce qu’on voyait il y a 200 ou 2 000 ans.

Cela nous a rappelé que, bien que nous nous targuions d’être des progressistes et des humanistes, notre monde n’est pas très différent de ce qu’il a été pendant des milliers d’années.

Cela nous a rappelé que les élites au pouvoir aiment à célébrer leur puissance, à l’abri des horreurs endurées par ceux qu’ils écrasent, et à l’abri des clameurs de protestation de ceux qui sont horrifiés par les souffrances qu’ils infligent.

Cela nous a rappelé qu’il ne s’agit pas d’une « guerre » entre Israël et le Hamas – et encore moins, comme Netanyahu voudrait nous le faire croire, d’une bataille pour la civilisation entre le monde judéo-chrétien et le monde islamique.

Il s’agit d’une guerre impériale américaine, qui s’inscrit dans le cadre d’une campagne militaire visant à « dominer le monde entier », conduite par l’État client préféré de Washington.

Le génocide est pleinement un génocide américain, perpétré avec les armes de Washington, l’argent de Washington, la couverture diplomatique de Washington et – comme on l’a vu au Congrès – les applaudissements de Washington.

Ou, comme l’a déclaré Netanyahu devant le Congrès, dans un moment de rare candeur : « Nos ennemis sont vos ennemis, notre combat est votre combat, et notre victoire sera votre victoire ».

Israël est le plus grand avant-poste militaire de Washington dans le Moyen-Orient riche en pétrole. L’armée israélienne est le principal bataillon du Pentagone dans cette région stratégiquement importante. Et Netanyahu est le commandant en chef de cet avant-poste.

Pour les élites de Washington, il est essentiel que l’avant-poste soit maintenu à tout prix, qu’il ne tombe pas dans les mains des « barbares ».

Un déluge de mensonges

Il y a eu un autre petit moment de vérité inattendue au milieu de l’avalanche de mensonges de Netanyahu. Le premier ministre israélien a déclaré que ce qui se passait à Gaza était « un choc entre la barbarie et la civilisation ». Il n’avait pas tort.

D’un côté, il y a la barbarie du génocide actuel perpétré conjointement par Israël et les États-Unis contre la population de Gaza, une barbarie précédée de l’escalade dramatique du siège israélien de 17 ans de l’enclave, elle-même précédée de décennies de domination violente sous le système israélien d’apartheid.

De l’autre côté, il y a quelques personnes courageuses qui tentent désespérément de sauvegarder les valeurs occidentales de « civilisation », de droit humanitaire international, de protection des faibles et des vulnérables, de droits de l’enfance.

Le Congrès américain a clairement montré où il se situait : du côté de la barbarie.

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Netanyahu est devenu le dirigeant étranger le plus fêté de l’histoire des États-Unis, invité à s’exprimer devant le Congrès à quatre reprises, plus souvent donc que le dirigeant britannique du temps de la seconde guerre mondiale, Winston Churchill.

C’est la créature de Washington. Sa sauvagerie, sa monstruosité sont entièrement made in America.

Comme il le disait à ses mentors américains : « Plus vite vous nous en donnerez les moyens, plus vite nous finirons le travail. »

Ce travail, c’est le génocide.

Une dissidence de façade

Certains démocrates ont préféré rester à l’écart, notamment Nancy Pelosi. Au lieu d’écouter Netanyahu, elle a rencontré des familles de captifs israéliens détenus à Gaza – et bien sûr pas des familles palestiniennes dont les proches ont été massacrés par Israël à Gaza.

La vice-présidente Kamala Harris a expliqué son absence par un problème d’horaire. Elle a rencontré le premier ministre israélien, tout comme le président Joe Biden, jeudi.

Elle a ensuite affirmé avoir parlé à Netanyahu de la situation humanitaire « désastreuse » de la bande de Gaza, mais a également souligné qu’Israël « avait le droit de se défendre » – un droit qu’Israël n’a pas, comme l’a souligné la CIJ la semaine dernière, parce que c’est Israël qui viole en permanence les droits des Palestiniens par son occupation prolongée, son régime d’apartheid et son nettoyage ethnique.

Mais la dissidence de Pelosi – et de Harris, si c’est bien de cela qu’il s’agit – était purement de façade. Il est vrai qu’elles n’aiment pas particulièrement Netanyahu, qui s’est si étroitement allié, lui et son gouvernement, avec la droite républicaine américaine et l’ancien président Donald Trump.

Mais Netanyahu leur sert d’alibi. Pelosi et Harris sont toutes deux de ferventes partisanes d’Israël – un État qui, selon l’arrêt rendu la semaine dernière par la CIJ, a instauré, il y a des décennies, un régime d’apartheid dans les territoires palestiniens, et utilisé une occupation illégale comme couverture pour nettoyer ethniquement la population qui s’y trouve.

Leur programme politique ne vise pas à mettre fin à l’annihilation de la population de Gaza. Il s’agit uniquement de répondre au mécontentement populaire des électeurs démocrates choqués par les scènes de Gaza.

Il s’agit de leur faire croire qu’à huis clos, elles protestent contre la façon dont Israël traite la question palestinienne. Que le fait de voter démocrate conduira un jour – un jour très lointain – à une « paix » indéfinie, à une légendaire « solution à deux États » où les enfants palestiniens ne continueront pas à mourir pour garantir la sécurité des milices de colons illégales d’Israël.

La politique américaine envers Israël n’a pas changé de manière significative depuis des décennies, que le président ait été rouge ou bleu, que Trump ait été à la Maison Blanche ou Barack Obama.

Et si Harris devient présidente – il est vrai que c’est un gros « si » – les armes et l’argent américains continueront d’affluer vers Israël, tandis qu’Israël décidera si l’aide américaine à Gaza est autorisée à entrer.

Pourquoi ? Parce qu’Israël est la cheville ouvrière d’un projet impérial américain visant à dominer l’ensemble du monde. Pour changer de cap à l’égard d’Israël, Washington devrait faire d’autres choses impensables.

Il devrait commencer à démanteler ses 800 bases militaires à travers le monde, tout comme la CIJ a demandé à Israël, la semaine dernière, de démanteler ses dizaines de colonies illégales en territoire palestinien.

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Les États-Unis devraient convenir d’une architecture de sécurité mondiale avec la Chine et la Russie, au lieu de chercher à intimider ces grandes puissances et à les soumettre par des guerres par procuration sanglantes, comme celle qui se déroule en Ukraine.

La fin approche

Pelosi, on s’en souvient, a accusé les étudiants des campus américains, qui protestaient contre le génocide plausible d’Israël à Gaza, d’être liés à la Russie. Elle a demandé au FBI d’enquêter sur eux pour avoir demandé à l’administration Biden de soutenir un cessez-le-feu.

Dans son discours au Congrès, Netanyahu a diabolisé les manifestants de la même manière, en les accusant d’être des « idiots utiles » du principal ennemi d’Israël, l’Iran.

Ni l’une ni l’autre ne peuvent se permettre de reconnaître que des millions de citoyens ordinaires aux États-Unis pensent qu’il est injuste de bombarder et d’affamer la population – et d’utiliser une guerre dont l’objectif est irréalisable comme couverture.

Le Hamas ne peut pas être « éliminé » par l’actuel accès de violence effroyable d’Israël pour une raison très évidente : le groupe est le produit, le symptôme, des accès antérieurs de violence effroyable d’Israël.

Même les experts occidentaux de la lutte contre le terrorisme ont dû admettre que les politiques génocidaires d’Israël à Gaza renforcent le Hamas, au lieu de l’affaiblir. Les hommes et les garçons qui perdent leur famille sous les bombes israéliennes sont les nouvelles recrues les plus ferventes du Hamas.

C’est pourquoi Netanyahu a insisté pour que l’offensive militaire israélienne – le génocide – à Gaza ne s’arrête pas de sitôt. Il a exigé des armes et de l’argent pour maintenir ses soldats dans l’enclave indéfiniment, dans le cadre d’une opération qu’il a qualifiée de « démilitarisation et de déradicalisation ».

En clair, cela signifie la poursuite des horreurs que subissent les Palestiniens contraints de vivre et de mourir sous le blocus de l’aide, la famine, les bombes et les « zones d’extermination » non marquées d’Israël.

Cela signifie également que la guerre d’Israël contre Gaza risque de dégénérer en une guerre régionale, voire mondiale, car les fils qui tissent l’escalade ne cessent de se multiplier.

Le Congrès américain est cependant trop aveuglé par la défense de son petit État fortifié au Moyen-Orient pour s’inquiéter de pareils détails. Ses membres ont crié « Gloire à toi » à leur satrape israélien, tout comme les sénateurs romains ont autrefois crié « Gloire à toi ! » aux généraux dont ils pensaient que les victoires se poursuivraient éternellement.

Les dirigeants de l’empire romain n’ont pas plus vu venir la chute que leurs homologues modernes de Washington. Tous les empirent meurent. Leur effondrement devient inévitable lorsque leurs dirigeants perdent la capacité de se rendre compte qu’ils sont devenus des monstres grotesques.

Auteur : Jonathan Cook

* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel ad the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.

26 juillet 2024 – Middle-East-Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet